Même pour un clinicien d’expérience, la distinction entre dépression unipolaire et dépression bipolaire – et entre dépression bipolaire de type I et de type II – peut être problématique. Or, un diagnostic précis est d’une importance capitale puisqu’il oriente la sélection d’un traitement approprié. Dans le cadre d’un webinaire éducatif intitulé Improving the Lives of Patients with Bipolar Disorder, offert par le Neuroscience Education Institute (NEI), le Dr Henry Nasrallah, professeur de psychiatrie, de neurologie et de neuroscience, University of Cincinnati School of Medicine, a présenté les indices cliniques clés qui, à son sens, facilitent la détection et le diagnostic des troubles bipolaires.
Fardeau des troubles bipolaires
Les troubles bipolaires (TB) sont des troubles mentaux répandus imposant un lourd fardeau; on estime qu’ils touchent près d’un million de Canadiens (en 2022, la prévalence des TB chez les adultes du Canada a été estimée à 2,1 %)1. À l’échelle mondiale, les TB viennent au deuxième rang des causes d’incapacité due à une maladie mentale ou physique2; ce sont des troubles graves qui peuvent réduire de 10 à 20 ans l’espérance de vie, notamment en raison d’un risque élevé de suicide3,4.
Jusqu’à 1 patient sur 5 avec TB meurt par suicide4
Dilemme diagnostique : reconnaître le type de dépression majeure
Qu’elle soit liée à un trouble unipolaire ou bipolaire, une dépression majeure se manifeste de manière très semblable. Comme les patients atteints d’un TB consultent habituellement durant les phases dépressives de la maladie, jusqu’à 75 % d’entre eux reçoivent à tort un diagnostic de dépression unipolaire5. Or, un diagnostic erroné peut avoir de graves répercussions, car la dépression est traitée différemment selon qu’elle est unipolaire ou bipolaire; qui plus est, en présence d’un TB non diagnostiqué, la prise d’antidépresseurs (AD) peut déclencher des épisodes maniaques ou hypomaniaques5. Il est donc fondamental de poser un diagnostic exact pour assurer une prise en charge appropriée.
Premièrement, il faut déterminer le sous-type de dépression
Indices permettant de distinguer la dépression unipolaire de la dépression bipolaire
Le Dr Nasrallah présente cinq indices qui peuvent aider le clinicien à distinguer la dépression unipolaire de la dépression bipolaire lorsqu’un patient consulte pour un épisode dépressif majeur (ÉDM). Ces indices doivent alerter le clinicien sur la probabilité d’un TB sous-jacent :
- Données démographiques : début de l’épisode dépressif inaugural à un jeune âge (< 25 ans) ou en post-partum
- Antécédents familiaux : chez des parents au 1er degré, diagnostic d’un trouble de l’humeur ou d’un trouble lié à l’utilisation d’une substance, ou antécédents de suicide
- « Mésaventures » liées aux AD : succession d’échecs d’un traitement AD ou d’épisodes maniaques/hypomaniaques induits par un AD
- Les trois C − Comorbidité, Chronicité et Chaos : en présence d’un TB, la comorbidité, notamment psychiatrique, est la règle plutôt que l’exception; les troubles concomitants les plus répandus sont l’anxiété, l’utilisation de substances, l’obésité, la migraine et le diabète, ainsi qu’une altération du fonctionnement dans les relations interpersonnelles et au travail
- Symptômes maniaques ou hypomaniaques : pensées qui défilent et/ou élocution rapide sont des symptômes répandus; une irritabilité persistante, durant des heures ou des jours, est également un signal d’alarme
Plusieurs indices peuvent alerter le clinicien sur la probabilité d’un TB sous-jacent lors d’une consultation pour un ÉDM
Différences fondamentales entre TB de type I et TB de type II
Advenant un diagnostic de dépression bipolaire, il est impératif de déterminer si le patient est atteint d’un TB de type I (TB I) ou de type II (TB II), car chaque type nécessite une prise en charge spécifique. De plus, par rapport au TB I, le TB II peut entraîner un risque suicidaire plus élevé6. Le Dr Nasrallah propose trois indices évoquant un TB II sous-jacent :
- Épisodes dépressifs plus fréquents et plus longs, conduisant à un trouble dépressif d’une durée significativement plus importante
- Diagnostic plus tardif
- Risque accru de troubles psychiatriques concomitants, particulièrement : anxiété, troubles de la personnalité, trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité, et troubles des conduites alimentaires
Lors de l’anamnèse, le clinicien devra peut-être « creuser » pour repérer les antécédents d’hypomanie
En conclusion, ajoute le Dr Nasrallah, les deux types de TB sont caractérisés par des phases de profond abattement; par contre, le TB I entraîne également des phases d’excitation extrême, alors que le TB II est associé à des phases d’excitation moins fréquentes et moins intenses, donc possiblement plus difficiles à repérer7. Il faut prendre le temps de bien diagnostiquer le TB grâce à une anamnèse minutieuse, afin d’amoindrir les conséquences potentiellement tragiques de cette affection grave et incapacitante.
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.