« Déclencheurs » de crises migraineuses : l’établissement d’un lien causal appelle-t-il à la prudence?

L’utilisation d’un téléphone intelligent et d’un journal électronique facilite le repérage de facteurs comportementaux et environnementaux associés dans le temps à la survenue de crises migraineuses. Cependant, les données d’observation ne permettent pas de conclure à un lien de causalité1,2. Pour évaluer le rôle véritable de facteurs communément perçus comme déclenchants, les études de provocation tiennent lieu de norme de référence1. Pourtant, peu de travaux de cette nature ont été effectués et les résultats obtenus sont peu probants1,3.

Dans une étude récente, plus de 300 personnes ont utilisé quotidiennement une application pour téléphone intelligent afin d’effectuer un suivi prospectif des déclencheurs potentiels et des symptômes manifestes de leurs crises migraineuses2. En moyenne, au cours d’une période de 90 jours, chaque participant a enregistré au total 28 « déclencheurs ». Toutefois, en moyenne, seuls 2 déclencheurs par personne étaient significativement associés à un risque accru de crise migraineuse.

De fait, même les déclencheurs communément cités (notamment une perturbation du sommeil, la déshydratation, le stress et le fait de sauter un repas) ont précédé une crise migraineuse chez seulement moins du tiers des patients les ayant incriminés2. Les personnes vivant avec la migraine croient que leurs crises sont précipitées par un large éventail de facteurs hétérogènes, mais peu de ces associations ont été confirmées par une analyse observationnelle rigoureuse. Fait à souligner : il n’est encore question ici que d’une association, non pas d’un lien de causalité.

Fait paradoxal : les déclencheurs peuvent avoir un effet protecteur

Se concentrer sur les déclencheurs peut donner au patient le sentiment d’avoir une prise sur ses crises migraineuses, mais également l’inciter à se blâmer

Le tableau est d’autant plus complexe que certains facteurs associés à un risque accru de crise migraineuse chez certains patients semblent avoir un effet protecteur chez d’autres. Dans une étude longitudinale comparable à l’étude décrite précédemment, plus d’un millier de personnes migraineuses ont tenu un journal électronique; or, on a constaté que sur 47 déclencheurs potentiels, 24 étaient davantage associés à un risque moindre plutôt qu’à un risque accru de crise migraineuse4. De ce nombre, certains sont des déclencheurs communément reconnus comme la caféine, l’alcool et le chocolat.

Généralement, les personnes vivant avec la migraine croient à l’action de facteurs déclenchants, qu’elles tentent donc d’éviter. Sur une note positive, cela peut leur donner le sentiment d’avoir une prise sur leur maladie. Qui plus est, s’il s’agit vraiment de déclencheurs, le risque de crise migraineuse sera diminué.

En revanche, si des déclencheurs sont incriminés à tort, beaucoup de gens pourraient inutilement renoncer à des expériences et à des activités plaisantes, et voir ainsi leur qualité de vie diminuée. De plus, s’ils n’arrivent pas à éviter ce qu’ils perçoivent comme des déclencheurs, ils risquent de se blâmer. Les déclencheurs, en admettant qu’ils ne soient pas une cause réelle de crise, détourneraient-ils notre attention des véritables facteurs de causalité3?

Alcool et chocolat

Lors d’une étude que l’université de Leyde, Pays-Bas, a menée en ligne auprès de plus de 2000 participants à un projet sur la migraine, presque 78 % des répondants ont cité le vin (particulièrement le vin rouge) à titre de déclencheur courant, mais seulement 8,8 % d’entre eux ont rapporté que la consommation de vin entraînait systématiquement une crise migraineuse5.

Aucune étude à double insu n’a montré que la consommation de chocolat avait un effet significatif sur le risque de crise migraineuse6

Comme le vin, le chocolat est généralement considéré comme un facteur précipitant la survenue d’une crise migraineuse. Or, les données soutenant cette conviction sont peu probantes – comme en témoignent les résultats d’études de référence par test de provocation. Des chercheurs ont récemment passé en revue 3 études de provocation prévoyant l’ingestion soit de chocolat, soit d’une substance témoin non chocolatée indiscernable du chocolat, comme le caroube6.

L’une de ces études a révélé une nette tendance à la hausse de la fréquence des céphalées après l’exposition au chocolat. Toutefois, aucune d’elles n’a objectivé de hausse significative de la fréquence des céphalées consécutive à l’ingestion de chocolat comparativement à l’ingestion de la substance témoin.

« Déclencheurs » : prodrome plutôt que facteurs causaux

Parce qu’ils peuvent précéder une crise migraineuse, certains facteurs tels qu’une envie impérieuse de consommer certains aliments ou une perturbation des habitudes alimentaires ont été considérés comme des déclencheurs possibles. Toutefois, des données probantes obtenues récemment par imagerie fonctionnelle semblent indiquer qu’il pourrait en fait s’agir de symptômes d’un dysfonctionnement cérébral déjà en progression – ce qui expliquerait leur association dans le temps avec les crises migraineuses, sans qu’il y ait lien de causalité3,7.

Certains symptômes prodromiques pourraient passer pour des déclencheurs

Cette nouvelle explication possible de la cooccurrence de certains comportements et d’une crise migraineuse – de même que la confirmation du manque d’homogénéité des données issues d’observations rigoureuses et d’études expérimentales, nous incident à réexaminer le rôle central des « déclencheurs » communément reconnus.

Cela dit, il demeure entièrement possible que de réels déclencheurs précipitent la survenue de crises migraineuses chez certaines personnes, que le seuil de sensibilité à un effet causal soit variable, et que le déclenchement d’une crise dépende d’une combinaison de facteurs plutôt que de facteurs individuels. Finalement, il importe de souligner que les données probantes concernant certains types de déclencheurs – notamment les fluctuations hormonales – sont solides et cohérentes.

Les faits saillants du symposium rapportés par notre correspondant se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

  1. Turner DP et al. Perceived migraine triggers. Practical Neurology 2018; Feb: 37-41.
  2. Casanova A et al. An observational study of self-reported migraine triggers and prospective evaluation of the relationships with occurrence of attacks enabled by a smartphone application. Headache 2022;62(10):1406-1415.
  3. Martinelli D et al. Triggers of migraine: where do we stand? Curr Opin Neurol 2022;35(3):360-366.
  4. Casanova A et al. The role of avoiding known triggers, embracing protectors, and adhering to healthy lifestyle recommendations in migraine prophylaxis: Insights from a prospective cohort of 1125 people with episodic migraine. Headache 2023 Jan;63(1):51-61.
  5. Onderwater GLJ et al. Alcoholic beverages as trigger factor and the effect on alcohol consumption behavior in patients with migraine. Eur J Neurol 2019;26(4):588-595.
  6. Nowaczewska M et al. To Eat or Not to Eat: A Review of the Relationship between Chocolate and Migraines. Nutrients 2020;12(3):608.
  7. Karsan N et al. Are some patient-perceived migraine triggers simply early manifestations of the attack? J Neurol 2021;268(5):1885-1893.