Émoussement affectif dans le trouble dépressif majeur : un handicap souvent sous-estimé, mais lourd de conséquences

L’émoussement affectif est souvent décrit comme un détachement, une incapacité à ressentir des émotions et une diminution de la réactivité. Fréquent chez les patients atteints d’un trouble dépressif majeur (TDM), il a d’importantes répercussions négatives sur tous les aspects de la capacité fonctionnelle, non seulement durant le traitement pour un épisode aigu, mais aussi durant la phase de rémission. Dans le cadre d’une communication orale avec affiche intitulée « Lived Experience of Emotional Blunting in Canadian Patients with Major Depressive Disorder and its Impact on Functioning and Quality of Life », Silvia Albanez, Ph.D., Lundbeck Canada, a présenté les résultats de la sous-analyse canadienne d’une enquête mondiale concernant les répercussions de l’émoussement affectif sur la capacité fonctionnelle et la qualité de vie du point de vue des patients. Dans une communication connexe par affiche intitulée « Canadian Patient and Physician Perceptions of Lived Experience of Emotional Blunting in Major Depressive Disorder », le Dr Oloruntoba Oluboka, University of Calgary, s’est concentré sur l’impact de l’émoussement affectif chez les patients tel qu’il est perçu par les professionnels de la santé.

L’émoussement affectif est décrit comme une incapacité à ressentir des émotions, positives ou négatives, un détachement, et une diminution de la réactivité émotionnelle. Les patients qui présentent un émoussement affectif disent se sentir « engourdis émotionnellement parlant »1. L’émoussement affectif est donc plus général que l’anhédonie, que l’on définit comme une incapacité à ressentir du plaisir1. Autre distinction importante : l’anhédonie est l’un des principaux symptômes du trouble dépressif majeur (TDM) alors que l’émoussement affectif est souvent considéré comme un effet indésirable des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) et des inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN). En effet, de 40 à 60 % des patients atteints d’un TDM qui reçoivent ces antidépresseurs font état d’un certain degré d’émoussement affectif1. Malgré la prévalence de l’émoussement affectif associé au traitement du TDM, nous disposons de relativement peu de données probantes objectivant le vécu des patients aux prises avec un émoussement affectif et ses répercussions sur la capacité fonctionnelle ou la qualité de vie.

L’émoussement affectif est décrit comme une incapacité à ressentir des émotions, positives ou négatives, un détachement, et une diminution de la réactivité émotionnelle

Émoussement affectif : vécu des patients atteints d’un TDM et répercussions

Dans le cadre d’une enquête menée auprès d’adultes atteints d’un TDM en Espagne, au Brésil et au Canada en avril et en mai 2021, des chercheurs ont examiné l’impact de l’émoussement affectif sur la capacité fonctionnelle et la qualité de vie, tant du point de vue des patients que de celui des soignants. Dans une sous-analyse regroupant 251 Canadiens sous antidépresseur qui avaient spontanément fait état d’un émoussement affectif au cours des 6 semaines précédentes, 73 % des patients en proie à un épisode dépressif aigu ont qualifié leur émoussement affectif d’extrêmement sévère. Fait digne de mention, près d’un patient sur cinq (19 %) dont les symptômes étaient en rémission a décrit son émoussement affectif comme étant extrêmement sévère, ce qui donne à penser que l’émoussement affectif pourrait persister même après la disparition des principaux symptômes de la dépression. La présence d’un émoussement affectif avait également un effet négatif sur l’observance du traitement, 32 % des patients ayant admis qu’ils envisageaient d’arrêter leur traitement antidépresseur – ou l’avaient déjà fait – à cause de leur émoussement affectif.

Un patient sur trois envisageait d’arrêter son traitement antidépresseur – ou l’avait déjà fait – en raison de son émoussement affectif

L’un des objectifs clés de l’enquête était d’évaluer l’impact de l’émoussement affectif sur la capacité fonctionnelle des patients (évaluée par l’échelle FAST [Functional Assessment Screening Tool]) et sur la qualité de vie (évaluée par l’échelle de bien-être de l’Organisation mondiale de la Santé [WHO-5]). Sur le plan fonctionnel, les patients dont le TDM était en phase aiguë étaient plus handicapés que les patients en rémission; néanmoins, les chercheurs ont observé qu’un émoussement affectif exerçait systématiquement un impact négatif sur tous les aspects de la capacité fonctionnelle. Les résultats obtenus sur l’échelle WHO-5 étaient similaires : l’émoussement affectif avait un impact négatif sur la qualité de vie globale ainsi que sur ses aspects individuels, notamment la vie sociale, la vie familiale et le fonctionnement au travail. 

L’émoussement affectif nuit significativement à tous les aspects de la capacité fonctionnelle et de la qualité de vie, tant durant la phase aiguë de la dépression que durant la rémission

Les médecins ont tendance à sous-estimer la sévérité et les répercussions de l’émoussement affectif chez les patients atteints d’un TDM

L’enquête multinationale regroupait également 130 psychiatres et médecins de premier recours du Canada, qui devaient répondre à des questions sur les patients qu’ils avaient traités dernièrement pour un TDM aigu ou en rémission. Les questions portaient sur l’émoussement affectif, notamment son impact sur la capacité fonctionnelle et la qualité de vie. Du point de vue des médecins, 30 % des patients étaient aux prises avec un émoussement affectif sévère, alors que 41 % des patients estimaient en être affligés. La disparité était similaire chez les patients en phase aiguë : selon les médecins, chez 34 à 42 % de ces patients, l’émoussement affectif avait un impact significatif sur le fonctionnement au quotidien, comme le travail, la vie familiale et la vie sociale; or, selon les réponses des patients, ce pourcentage variait entre 46 et 57 %. Les médecins, comparativement aux patients, ont attribué l’émoussement affectif au traitement antidépresseur chez un plus faible pourcentage de patients (33 % vs 43 %, respectivement). De plus, les médecins considéraient que seulement 18 % des patients songeaient à mettre fin à leur traitement en raison d’un émoussement affectif, alors que 32 % des patients sondés étaient de cet avis. Ces résultats évoquent une disparité entre la manière dont les patients vivent l’émoussement affectif et son impact sur le fonctionnement au quotidien, et la perception qu'en ont les médecins. 

Les patients et les médecins n’ont pas la même perception de la sévérité et de l’impact de l’émoussement affectif dans le TDM

Silvia Albanez, Ph.D., et le Dr Oluboka soulignent l’importance de bien faire connaître la prévalence et l’impact négatif substantiel de l’émoussement affectif chez tous les patients atteints d’un TDM, peu importe la phase de la maladie. Des outils permettant d’évaluer l’émoussement affectif pourraient aider les médecins à prendre des décisions plus éclairées quant aux soins à prodiguer aux patients atteints d’un TDM pour qu’ils parviennent à un rétablissement fonctionnel complet.

Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

  1. Ma H, et al. Front Psychiatry. 2021;12:792960.
  2. Christensen MC, Ren H, Fagiolini A. Emotional blunting in patients with depression. Part I: clinical characteristics. Ann Gen Psychiatry. 2022 Apr 4;21(1):10. doi: 10.1186/s12991-022-00387-1. PMID: 35379283; PMCID: PMC8981644.
  3. Christensen MC, Ren H, Fagiolini A. Emotional blunting in patients with depression. Part II: relationship with functioning, well-being, and quality of life. Ann Gen Psychiatry. 2022 Jun 20;21(1):20. doi: 10.1186/s12991-022-00392-4. PMID: 35725552; PMCID: PMC9210577.
  4. Christensen, M.C., Ren, H. & Fagiolini, A. Emotional blunting in patients with depression. Part IV: differences between patient and physician perceptions. Ann Gen Psychiatry 21, 22 (2022). https://doi.org/10.1186/s12991-022-00391-5