Prendre soin des travailleurs de la santé durant la pandémie de COVID-19

Inattendue, stressante et cousue d’incertitudes, la pandémie a entraîné une importante détresse chez les travailleurs de la santé qui ont été au front pendant la guerre contre la COVID-19. Qu’a-t-on fait pour protéger leur bien-être mental contre le stress de la pandémie et ses conséquences négatives à long terme sur la santé mentale? 

À la conférence de l’APC de 2022, des experts du Canada de l’Université de Toronto se sont réunis pour répondre à la question. Dans un premier temps, la Dre Rima Styra a présenté son étude sur la façon dont la pandémie de COVID-19 a affecté le bien-être psychologique des travailleurs de la santé. Dans un deuxième temps, les Dres Mary Preisman, Mary Elliot et Suze Berkhout ont présenté les programmes qu’elles ont conçues pour soutenir le personnel des établissements de santé.

Qu’ont vécu les travailleurs de la santé durant la pandémie de COVID-19?

La Dre Styra a présenté les résultats d’une étude transversale multicentrique qui avait pour but d’explorer l’impact psychologique de la lutte contre la COVID-19 sur les travailleurs de la santé, dont certains avaient aussi combattu l’éclosion du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 20031.

Au total, 3852 travailleurs de la santé ont répondu au sondage, et 1116 (29,1 %) d’entre eux avaient aussi travaillé durant la crise du SRAS. Selon les résultats, tant les cliniciens que les membres du personnel non clinique étaient en proie à une détresse psychologique :

  • 50,2 % ont signalé des symptômes modérés/sévères du trouble de stress post-traumatique (TSPT);
  • 24,6 % ont signalé des symptômes anxieux modérés/sévères;
  • 31,5 % ont signalé des symptômes dépressifs modérés/sévères;
  • 25,7 % ont commencé à boire de l’alcool ou se sont mis à boire plus;
  • 14,1 % ont déclaré avoir pris des hypnotiques;
  • 34,7 % ont négligé leur santé, notamment en ne consultant pas leur médecin de famille ou thérapeute.

 

Étonnamment, ceux qui avaient traversé la crise du SRAS – comparativement à ceux qui ne l’avaient pas vécue – n’ont pas eu des scores plus élevés sur le plan du TSPT, de l’anxiété ou de la dépression. « C’est un résultat en quelque sorte prometteur pour l’avenir : ayant plus d’expérience et une impression d’efficacité personnelle après avoir traversé l’épreuve de la COVID-19, ces travailleurs pourraient bien se tirer d’affaire à l’avenir », avance la Dre Styra.

L'étude montre aussi que la plupart des travailleurs de la santé cherchent de l’aide, ce qui souligne la nécessité d’un soutien de qualité et accessible et de programmes éducatifs pour toutes les personnes œuvrant dans un établissement de santé.

De nombreux travailleurs de la santé ont ressenti de la détresse durant la pandémie de COVID-19 et ont cherché de l’aide, ce qui souligne la nécessité d’un soutien de qualité et de programmes éducatifs.

Quel type de programmes de soutien aiderait les travailleurs de la santé à combattre la détresse associée à la COVID-19?

En réponse à cette question, trois conférencières ont présenté les programmes uniques qu’elles ont conçues pour le personnel de leurs établissements. 

Mount Sinai Hospital : un programme d’accompagnement à la résilience

La Dre Preisman a expliqué qu’au Mount Sinai Hospital, l’objectif avait été de tirer profit des ressources existantes pour répondre rapidement aux besoins des travailleurs de la santé. Le département de psychiatrie de consultation-liaison a ainsi élaboré un programme d’accompagnement à la résilience2.

Dans le cadre de ce programme, les accompagnateurs étaient des cliniciens en santé mentale de l’établissement que l’on a affectés aux diverses unités cliniques afin de fournir aux travailleurs une aide opportune et adaptée au milieu clinique. L’accompagnement a pris la forme d’un soutien aux pairs qui tirait profit des liens existants pour faciliter l’adaptation.

Les accompagnateurs ont utilisé leurs compétences en psychothérapie pour répondre aux besoins des travailleurs de la santé. Par exemple, ils pouvaient animer des exercices de pleine conscience en groupe, fournir un soutien en tête-à-tête ou prendre part à une discussion au sujet d’une situation stressante.

Une analyse qualitative a montré que, de l’avis du personnel, le programme avait été utile pour favoriser les contacts et réduire l’isolement. En outre, les accompagnateurs se sont dits heureux de pouvoir soutenir leurs collègues. Les obstacles au programme ont été la gestion des horaires et l’accès à l’accompagnement en raison des contraintes de temps et du manque de fonds.

Princess Margaret Hospital (PMH) : CREATE (Compassion, Resilience, and Team building)

Comme l’a expliqué la Dre Elliot, le programme CREATE reposait sur les efforts d’une équipe et était intégré au travail de manière à offrir un soutien opportun aux travailleurs de la santé. Dans le cadre de CREATE, 13 accompagnateurs psychosociaux ont été jumelés avec des cliniciens cadres pour soutenir 27 équipes de travailleurs de la santé3.

Chaque jour, dans les caucus de sécurité, les accompagnateurs se réservaient du temps pour répondre aux besoins de l’équipe. Ces besoins étaient répartis en quatre catégories (psychologiques, sociaux, physiques et spirituels), et les interventions étaient conçues pour répondre à chaque catégorie.

Les résultats de CREATE ont montré que le ton émotionnel des propos tenus au sein des équipes était devenu plus positif au fil du temps. En outre, les travailleurs de la santé, les accompagnateurs et les dirigeants de l’hôpital ont valorisé le programme.

CREATE est demeuré accessible aux équipes jusqu’à la troisième vague de la pandémie de COVID-19. Par la suite, le programme était offert sur demande aux équipes de personnel clinique.

La culture de l’établissement et les besoins des personnes ciblées sont deux facteurs importants à prendre en compte dans l’élaboration d’un programme de soutien destiné aux travailleurs de la santé.

University Health Network (UHN) : CARES (COVID Coping And Resilience for Employees and Staff)

Dans les hôpitaux du réseau UHN, on a eu recours à une approche d’amélioration de la qualité pour créer un modèle de soins par paliers de façon à soutenir le personnel, dont les travailleurs de la santé4. Dans le cadre de ce modèle, on a fait une évaluation des besoins des travailleurs de la santé et de leurs sources de détresse. Divers éléments du programme CARES ont ensuite vu le jour : CARES pour les équipes, CARES pour l’UHN, programmes de soutien pour les intervenants de CARES, et équipe chargée du bien-être au sein du réseau.

La Dre Berkhout a consacré le plus clair de sa présentation au volet CARES pour l’UHN, programme de soins par paliers en santé mentale destiné à tous les employés du réseau. Ces paliers de soins étaient les ressources en santé mentale en ligne pour usage personnel sur le site Web COVID du réseau UHN, les interventions en groupe virtuelles et, enfin, des soins individuels en santé mentale.

Tout employé du réseau UHN pouvait déterminer lui-même le niveau de soins dont il avait besoin, et des soins étaient offerts en ligne ou par téléphone, pendant ou après les heures de travail et durant les week-ends. Fait plus intéressant encore, les employés pouvaient eux-mêmes faire parvenir une demande de consultation directement à un psychiatre ou à un psychologue pour tout problème de santé mentale lié à la COVID. Le délai d’attente moyen pour le premier rendez-vous après une telle demande était de 5,4 jours, mais les personnes en grande détresse (p. ex. celles qui avaient des idées suicidaires ou des pensées d’automutilation) pouvaient être vus dans les 24 heures.

Le volet CARES pour l’UHN, toujours en cours, est financé au moyen d’une subvention. À ce jour, le site Web UHN COVID est apparu dans plus de 12000 recherches, et 166 personnes se sont prévalues de l’accès direct aux soins en santé mentale. À la lumière des commentaires des utilisateurs, le programme s’est révélé efficace et a été apprécié.

Les établissements peuvent concevoir leurs propres programmes de soutien en santé mentale.

Quels enseignements peut-on tirer de ces programmes?

L’expérience montre que la mise sur pied d’un programme en santé mentale au sein d’un établissement est à la fois faisable et appréciée quand il répond aux besoins des personnes ciblées. De plus, malgré la similitude des principes (p. ex. ceux de la psychothérapie) qui sous-tendent la conception d’un programme de soutien, le déroulement de chacun peut varier « selon la culture de l’établissement et les besoins du personnel », conclut la Dre Sheehan.

Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

1. Styra R, et al. PLoS ONE 2021;16(11): e0258893

2. Rosen B, et al. American Journal of Psychotherapy; 2020;73(4):144-148

3. Shapiro GK, et al. NEJM Catalyst Innovations in Care Delivery; 2021:2(2)

4. Sheehan KA, et al. The Canadian Journal of Psychiatry; 2022: 07067437221111372