Bien que la physiopathologie et les causes de la migraine n’aient pas encore été entièrement élucidées, un corpus de données probantes a permis d’établir que le « cerveau migraineux » est hyperexcitable, hyperréactif et hypersensible1,2. De plus, des données probantes indiquent que le déclenchement d’une crise migraineuse implique à la fois des mécanismes périphériques et des mécanismes centraux : en effet, la douleur est détectée en périphérie et les signaux de la douleur sont transmis au cortex, où la douleur est perçue3. Cela dit, le mode d’action – périphérique ou/et central – reste à éclaircir et a fait l’objet d’un débat au congrès 2024 de l’American Headache Society (AHS). Rami Burstein, Ph. D., chercheur et professeur de neuroscience, Harvard Medical School, a présenté des données probantes à l’appui de l’action périphérique des agents préventifs, et le Dr Peter Goadsby, professeur de neurologie, King’s College London, Royaume-Uni, a soutenu que les traitements pour la migraine exercent leur action thérapeutique dans le cerveau.
Prodrome et déclencheurs : qu’ont-ils révélé?
Pour étayer son argumentation à l’appui de l’action périphérique des médicaments pour la migraine, le Pr Burstein a décrit une étude ayant révélé qu’un traitement par un anticorps monoclonal (AcM) anti-CGRP d’une durée de 3 mois avait réduit significativement la fréquence des céphalées après la survenue de symptômes précurseurs ou l’exposition à un déclencheur; cet effet était beaucoup plus marqué chez les patients « super-répondeurs » que chez les « super-non-répondeurs »2. Si les médicaments de cette classe agissaient dans le système nerveux central et bloquaient directement les récepteurs du CGRP, ils n’influeraient pas sur la fréquence des céphalées après l’apparition de symptômes précurseurs ou l’exposition à un déclencheur. Les chercheurs en concluent qu’un traitement par un AcM anti-CGRP réduit pendant plusieurs mois l’intensité et la durée des signaux de la douleur générés en périphérie et transmis au cerveau.
Une réduction prolongée des influx nociceptifs dans le cerveau permet de normaliser la réactivité et l’excitabilité du « cerveau migraineux »
Les AcM anti-CGRP ne traversent pas la barrière hémato-encéphalique
Le Pr Bernstein avance un autre argument clé à l’appui de l’action périphérique des traitements préventifs de la migraine : les AcM anti-CGRP ne traversent pas la barrière hémato-encéphalique (BHE). Les récepteurs du CGRP sont largement distribués dans l’organisme et sont particulièrement nombreux dans le système trigéminovasculaire (lequel intervient dans la crise migraineuse) et les vaisseaux sanguins méningés4,5. Des études reposant sur des modèles animaux ont montré qu’en présence d’une BHE intacte, un AcM anti-CGRP à marquage fluorescent administré par voie intraveineuse ne pénètre pas dans les régions anatomiques centrales intervenant dans la migraine, notamment les noyaux du nerf trijumeau, le thalamus, l’hypothalamus et le cortex5. Par contraste, on trouve des concentrations élevées du médicament dans la dure-mère, les vaisseaux sanguins de la dure-mère et de la pie-mère, le ganglion trigéminal et d’autres sites périphériques impliqués dans la crise migraineuse. Ces observations semblent indiquer qu'en raison de leur taille importante, les AcM anti-CGRP ne traversent pas la BHE et préviennent la céphalée migraineuse en agissant à l’extérieur du système nerveux central.
En raison de leur taille importante, les AcM anti-CGRP ne traversent pas une BHE intacte, ce qui laisse présumer que leur site est d’action périphérique
Le cerveau : cible anatomique ultime des traitements antimigraineux
L’argumentation du Dr Goadsby à l’appui de l’action centrale des médicaments pour la migraine est axée sur une notion clé : en fin de compte, le cerveau est la région anatomique dont la physiologie est modifiée par les agents exerçant des effets antimigraineux cliniques. De fait, toutes les approches préventives de la migraine ciblent le cerveau, y compris les approches comportementales, la neuromodulation, les médicaments non spécifiques, et les agents spécifiques (p. ex. les AcM anti-CGRP) pour la migraine. C’est aussi le cas des triptans : on croyait à l’origine qu’ils agissaient sur les vaisseaux sanguins intracrâniens, mais depuis, on a découvert qu’ils préviennent la sensibilisation des neurones trigéminovasculaires centraux (mais non périphériques), par l’intermédiaire des récepteurs sérotoninergiques 5HT1B/1D présynaptiques6.
La migraine est un trouble cérébral complexe que l’on peut prévenir au moyen de médicaments à action centrale, dont la cible est le cerveau
Les AcM anti-CGRP pénètrent dans le liquide céphalorachidien, où ils captent le CGRP
Des données probantes semblent indiquer qu’en dépit de leur taille moléculaire importante, les AcM anti-CGRP pénètrent dans le liquide céphalorachidien (LCR), où ils se fixent au CGRP7. Lors d’un essai réalisé auprès d’un nombre restreint de sujets sains, l’injection intraveineuse d’une dose unique d’un AcM anti-CGRP a entraîné une hausse rapide des concentrations de l’AcM anti-CGRP dans le plasma et le LCR, lesquelles ont atteint un maximum 15 jours après l’injection. Malgré le faible rapport des concentrations LCR/plasma, la présence de l’AcM anti-CGRP dans le LCR indique que cet agent pénètre dans le cerveau, où il peut se fixer à sa cible.
Un anti-CGRP administré en périphérie peut pénétrer dans le LCR et se fixer à sa cible
La migraine n’est pas qu’un épisode douloureux
Finalement, le Dr Goadsby fait valoir que la migraine n’est pas qu’un épisode douloureux. Elle peut en effet s’accompagner d’autres symptômes incapacitants et incommodants, notamment des symptômes cognitifs ou un « brouillard mental », se manifestant par une sensation de confusion, des problèmes d’apprentissage ou de mémoire, ou une difficulté à parler ou à lire8. Dans le cadre d’une étude observationnelle réalisée en conditions réelles chez 94 patients recevant un AcM anti-CGRP, 80 % des sujets ont déclaré avoir déjà ressenti un brouillard mental. Après le traitement par un AcM anti-CGRP, 86 % d’entre eux ont rapporté une amélioration du brouillard mental. Le Dr Goadsby ajoute que selon sa propre expérience clinique, les patients qui répondent au traitement par un AcM anti-CGRP affirment souvent pouvoir penser clairement pour la première fois.
L’allègement du fardeau cognitif est une cible potentielle du traitement préventif pour la migraine
Conclusion
Bien que les deux experts aient présenté des arguments convaincants à l’appui d’une action périphérique et d’une action centrale des traitements préventifs pour la migraine, il est probable que la crise migraineuse relève à la fois de mécanismes périphériques et de mécanismes centraux; par conséquent, la cible des médicaments préventifs peut être périphérique ou centrale3. Les orateurs sont d’accord pour dire que la physiopathologie demeure une zone d’ombre et qu’il nous faut pousser les recherches afin d’élucider entièrement le mécanisme et le(s) site(s) d’action des traitements pour la migraine.
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.