Des antécédents familiaux de maladie mentale sévère (MMS) constituent un facteur de risque d’apparition d’une MMS; jusqu’à 50 % des enfants dont un parent est atteint d’une MMS auront eux-mêmes une MMS au cours de leur vie. Au congrès de la Schizophrenia International Research Society (SIRS) de 2023, des chercheurs d’Europe et du Canada ont fait part des résultats de leurs recherches dans le but d’élucider les mécanismes de la transmission intergénérationnelle du risque de MMS.
Le projet VIA
50 % des patients atteints d’une maladie mentale sévère (MMS) ont un premier contact avec les services de santé mentale avant l’âge de 18 ans, et l’incidence de la schizophrénie atteint un sommet à l’âge de 22 ans. Il est important d’examiner les facteurs présents jusqu’à la fin de l’adolescence si l’on aspire à mieux comprendre les mécanismes de l’apparition d’une MMS1.
50 % des patients atteint d’une maladie mentale sévère ont un premier contact avec les services de santé mentale avant l’âge de 18 ans.
La Pre Merete Nordentoft (Centre de santé mentale, Copenhague) a décrit l’étude longitudinale danoise en cours sur le risque élevé et la résilience (projet VIA)1,2. La cohorte de l’étude danoise regroupait 522 enfants de 7 ans, dont 322 avaient un ou deux parents atteints d’une MMS et 200 (témoins) avaient des parents qui n’en souffraient pas1. Le bilan initial réalisé à l’âge de 7 ans (entre 2013 et 2016) visait à évaluer la neurocognition, le fonctionnement moteur, la psychopathologie, le milieu familial, les données sociodémographiques et l’information génétique2. Les bilans subséquents réalisés à l’âge de 11 ans (entre 2017 et 2020) comportaient un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale et une électroencéphalographie (ÉEG)2. À l’âge de 15 ans (entre 2021 et 2024), s’ajouteront une évaluation des comportements risqués, une magnétoencéphalographie, une évaluation du sommeil ainsi qu’une évaluation de l’intensité d’un bruit blanc3.
À ce jour, les résultats du projet VIA ont montré que les enfants de parents atteints de schizophrénie étaient plus susceptibles d’avoir, durant l’enfance, des troubles psychiatriques, des expériences psychotiques, des fonctions cognitives moins performantes, une moins bonne compréhension du langage, plus d’événements de la vie traumatisants et un faible niveau d’activité physique1. Ces enfants étaient aussi plus susceptibles de vivre dans un milieu familial jugé inadéquat, et les examens d’imagerie ont objectivé une altération structurelle du cerveau chez ces enfants1.
Les enfants de parents atteints de schizophrénie sont plus susceptibles d’avoir, durant l’enfance, des troubles psychiatriques, une moins bonne compréhension du langage et un faible niveau d’activité physique.
La prochaine batterie de tests est prévue à l’âge de 19 ans (entre 2025 et 2028). Les chercheurs espèrent utiliser ces données pour déterminer l’influence de la génétique, de l’épigénétique et des expositions environnementales, puis élaborer un modèle de prédiction de la maladie mentale1.
La cohorte de Lausanne-Genève
La Pre Caroline Vandeleur (Centre hospitalier universitaire vaudois, à Lausanne, et Université de Lausanne, Suisse) a enchaîné avec une discussion sur les facteurs qui peuvent contribuer au risque de troubles de l’humeur et de troubles psychotiques chez les enfants de parents ayant des troubles de l’humeur (trouble dépressif majeur [TDM] et trouble bipolaire [TBP])4.
Il y a un lien étroit entre le TBP à début précoce chez les parents et le risque de TBP chez leurs enfants4. Chez les enfants dont un parent souffre d’un TDM, le risque d’apparition d’un TDM est modérément accru4. Des études d’observation ont montré que les enfants ayant un risque familial de psychose sont plus à risque de problèmes de langage et de développement moteur, de dysfonctions exécutives ou de mésadaptation sociale4. Les enfants dont un parent est atteint de schizophrénie sont aussi plus à risque de trauma4. D’autres études semblent indiquer qu’un trauma – y compris un abus physique et/ou sexuel ou d’autres événements stressants de la vie – peuvent contribuer à l’apparition de troubles de l’humeur et de troubles psychotiques4. L’adversité durant l’enfance est généralement plus fréquente dans les familles où un TBP et un TDM sont présents que dans les familles exemptes de ces troubles.
Un abus physique ou sexuel peut contribuer à l’apparition de troubles de l’humeur et psychotiques.
De piètres aptitudes parentales et des événements stressants de la vie durant l’enfance sont aussi des facteurs de risque d’apparition d’un trouble de l’humeur chez les enfants dont un parent est atteint d’un TBP4.
La Pre Vandeleur souligne l’importance de repérer les facteurs de risque et les premières manifestations cliniques chez les patients ayant un risque familial de trouble de l’humeur ou de trouble psychotique; le repérage de ces facteurs de risque peut contribuer à élaborer des stratégies d’intervention précoce qui pourraient diminuer la morbimortalité, et améliorer l’issue clinique4.
Le repérage de ces facteurs de risque peut contribuer à élaborer des stratégies d’intervention précoce.
Trajectoires neurodéveloppementales
La Pre Neeltje van Haren (Centre médical Érasme, Pays-Bas) et son équipe ont tenté d’approfondir des travaux antérieurs ayant évoqué la possibilité d’une altération de la structure du cerveau et de la connectivité des réseaux de neurones chez des enfants dont un parent souffrait d’un TBP ou d’une schizophrénie5. Les chercheurs ont mesuré le volume cérébral, l’épaisseur corticale et l’aire corticale dans le cerveau de 185 patients. De ces 185 patients, 79 avaient au moins un parent ayant reçu un diagnostic de TBP, 52 avaient au moins un parent ayant reçu un diagnostic de schizophrénie et 54 étaient des témoins5.
Des clichés d’IRM pondérés en T1 ont mis en évidence des écarts dans les trajectoires neurodéveloppementales entre les enfants de parents aux prises ou non avec une maladie mentale. Plus précisément, le volume intracrânien était moindre chez les patients dont un parent était atteint de schizophrénie. Avec l’âge, la diminution de l’épaisseur corticale et des aires corticales était moins marquée en contexte de TBP qu’en contexte de schizophrénie. Durant l'adolescence, les aires corticales ont augmenté chez les patients dont un parent était atteint d’un TBP alors qu’elles ont diminué chez les patients dont un parent était atteint de schizophrénie5.
Le développement du cerveau pourrait différer selon que le parent est aux prises, ou non, avec une maladie mentale.
Les chercheurs concluent que le fait d’avoir un parent souffrant d’une MMS pourrait avoir un impact sur le développement du cerveau bien avant le début de la maladie, et que ces altérations sont plus prononcées en contexte de schizophrénie qu’en contexte de TBP5. Les prochaines étapes auront pour objectif d’explorer la spécificité de ces résultats selon la maladie au sein de groupes plus importants.
Horloges épigénétiques
Il est connu que la longévité des personnes atteintes d’une MMS est moindre que celle des personnes n’en souffrant pas6,7. Des chercheurs ont repéré des biomarqueurs liés à l’âge et des conditions physiologiques chez des patients atteints d’une MMS, ce qui a mené à l’hypothèse voulant que ces patients aient un vieillissement accéléré7. Dans le cadre d’une étude intitulée BASYS (Bipolar and Schizophrenia Young Offspring Study), Alex Segura (doctorant, Université de Barcelone) et son équipe se sont penchés sur les modifications épigénétiques caractéristiques de la progéniture de patients atteints de schizophrénie ou de TBP afin de rechercher des signes de vieillissement prématuré6,7.
La longévité des personnes atteintes d’une maladie mentale ests moindre que celle des témoins.
L’étude BASYS regroupait 117 enfants et adolescents âgés de 6 à 17 ans : 53 d’entre eux avaient un risque familial élevé (RFÉ) de schizophrénie ou de TBP, alors que les 64 autres étaient des témoins. À partir d’échantillons de sang et de salive, les chercheurs ont calculé l’âge épigénétique en se servant de six algorithmes d’horloge épigénétique, et l’ont comparé à l’âge biologique6,7. Ils ont émis l’hypothèse voulant qu’il y ait un décalage plus marqué entre l’âge biologique et l’âge épigénétique dans le groupe RFÉ. Dans les faits, ils ont plutôt constaté l’inverse : chez les patients du groupe RFÉ, ils ont observé une décélération selon deux algorithmes d‘horloge épigénétique, et aucune différence selon les quatre autres algorithmes6,7. Dans les cas de premier épisode psychotique, la décélération survenait avant l’épisode et l’accélération, par la suite6. Les chercheurs n’ont trouvé aucun effet des facteurs de risque environnementaux – dont les complications obstétricales, le statut socioéconomique ou de récents événements stressants de la vie – sur l’âge épigénétique6,7.
À en juger par les données de Segura et al., l’âge biologique avance plus lentement chez les enfants de parents atteints d’une MMS que chez les témoins7.
D’autres recherches s’imposent si l’on souhaite explorer l’impact des stresseurs environnementaux avant l’apparition d’une MMS7.
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.