Prescrire des antidépresseurs « intelligemment »?

Dans le cadre du congrès virtuel de 2022 de l’American Psychiatric Association (APA), le potentiel d’une application interactive pour téléphone intelligent à utiliser au point d’intervention afin de faciliter la prescription d’un antidépresseur a fait l’objet de discussions. Le recours plus précoce aux associations médicamenteuses et la durée plus brève de l’essai d’un médicament étaient au nombre des sujets abordés.

Former les prescripteurs

Le Pr Philip Muskin (Columbia University, É.-U.) a commencé par expliquer que même si ce sont souvent les non-spécialistes – p. ex. des médecins de premier recours et des omnipraticiens – qui prescrivent des antidépresseurs, la formation en psychiatrie qu’ils reçoivent dans le cadre de leurs études en médecine de premier recours est souvent considérée comme sous-optimale1. Les médecins se retrouvent ainsi mal outillés pour prendre des décisions thérapeutiques ou aborder certaines questions difficiles quand ils prescrivent un antidépresseur, p. ex. concernant les dysfonctions sexuelles ou les idées suicidaires2. Pour être bénéfiques, peut-être l’enseignement et la formation devraient-ils être continus plutôt que ponctuels et brefs3

Peut-être l’enseignement et la formation devraient-ils être continus

Les technologies peuvent aider à résoudre des problèmes de santé et à améliorer la qualité de vie, mais il est important qu’elles s’accompagnent d’une bonne formation du personnel et d’une organisation efficace des soins de santé connexes4. Le marché des logiciels utilisés en santé mentale est en plein essor, mais il est fréquent qu’aucun professionnel en santé mentale n’intervienne dans la conception de ces applications5.

Principes qui sous-tendent la prescription mis en doute

Le Dr John Mann (Columbia University, É.-U.) a discuté de l’essai séquentiel de traitements antidépresseurs d’une durée de 6 semaines dans le cadre de l’étude pivot STAR*D. Les taux de rémission cumulatifs ont été de 33 % pour la 1re étape, puis de 57 %, 63 % et 67 % pour les 2e, 3e et 4e étapes, respectivement6. Le taux de réponse a chuté radicalement après l’essai d’un 2e médicament; dans ces cas-là, explique-t-il, soit que la dépression est devenue plus difficile à traiter avec le temps, soit que la maladie a toujours été plus difficile à traiter. Si la première option est vraie, il est crucial de traiter les patients efficacement le plus tôt possible, à plus forte raison parce que les taux de récidive étaient aussi plus faibles chez les patients dont la réponse était rapide6.

Il est crucial de traiter les patients efficacement le plus tôt possible

À son avis, l’étude STAR*D a conduit à deux hypothèses : la durée optimale de l’essai d’un médicament est de 6 semaines et la monothérapie est optimale. Or, ces hypothèses vont à l’encontre de l’approche utilisée dans le traitement de l’hypertension, où l’on a recours à de multiples agents et à des cibles tensionnelles précises pour mesurer l’efficacité.

Association de médicaments et essai de durée moindre

Le Dr Mann propose que le traitement antidépresseur tende vers l'association de médicaments et la durée moindre de l'essai. Comparativement à la monothérapie, les associations d’antidépresseurs peuvent donner lieu à des taux de réponse plus élevés7; les effets des différentes classes sont potentiellement additifs, sans compter que les effets indésirables ne semblent pas significativement plus marqués. Nous avons aussi l'option de potentialiser le traitement au moyen d’un médicament autre qu’un antidépresseur, p. ex. un antipsychotique.

Tendre vers l’association de médicaments et un essai plus bref

Il a aussi mis en doute la théorie voulant qu’il faille essayer un antidépresseur pendant 6 semaines avant de songer à d’autres options. Cette théorie repose sur l’écart statistique entre la réponse à un médicament actif et la réponse à un placebo. Si l’on compare plutôt les répondeurs aux non-répondeurs, on observe un effet bénéfique dans un délai de 2 semaines. Selon une méta-analyse qui regroupait plus de 6500 patients recevant différentes classes d’antidépresseurs, seulement 4 % des patients chez qui il n’y avait aucune amélioration à 2 semaines étaient en rémission à 4 semaines8.

Allier technologie et médecine factuelle

Le Dr Ravi Shah (Columbia University, É.-U.) a présenté le protocole ASAP (Accelerated Sequential Antidepressant Protocol) reposant sur les principes d’une association médicamenteuse et d’un essai plus bref. Après la 1re étape, le protocole favorise les médicaments ciblant plus d’un neurotransmetteur ou l'association de médicaments ciblant différentes cibles, et chaque étape du processus dure 3 semaines.

Le but est de faciliter la prise de décisions au point d’intervention

Des psychiatres de la Columbia University se sont joints à une jeune entreprise technologique afin de concevoir une application interactive pour téléphone intelligent à utiliser au point d’intervention afin de disséminer le protocole ASAP9. Cette application – qui fournit des algorithmes de traitement factuels pour la prise en charge psychiatrique ambulatoire de la dépression – contient des calculateurs intégrés pour les échelles d’évaluation cliniques. Le but est de faciliter la prise de décisions au point d’intervention, surtout pour les médecins de premier recours et les jeunes médecins en formation. Les  prochaines étapes sont d’analyser les résultats de l’utilisation du protocole, d’intégrer les données dans les dossiers médicaux électroniques et de concevoir des modules pour d’autres troubles psychiatriques.

Références

  1. Leigh H, Mallios R, Stewart D. Teaching psychiatry in primary care residencies: do training directors of primary care and psychiatry see eye to eye? Acad Psychiatry 2008;32(6):504-9.
  2. Epstein SA, Hooper LM, Weinfurt KP, DePuy V, Cooper LA, Harless WG, Tracy CM. Primary care physicians' evaluation and treatment of depression: Results of an experimental study using video vignettes. Med Care Res Rev 2008;65(6):674-95.
  3. Mann JJ, Michel CA, Auerbach RP. Improving Suicide Prevention Through Evidence-Based Strategies: A Systematic Review. Am J Psychiatry 2021;178(7):611-24.
  4. https://www.who.int/europe/news-room/fact-sheets/item/health-technologies
  5. Sucala M, Cuijpers P, Muench F, et al. Anxiety: There is an app for that. A systematic review of anxiety apps. Depress Anxiety 2017;34(6):518-25.
  6. Gaynes BN, Rush AJ, Trivedi MH, et al. The STAR*D study: treating depression in the real world. Cleve Clin J Med 2008;75(1):57-66.
  7. Henssler J, Alexander D, Schwarzer G, et al. Combining Antidepressants vs Antidepressant Monotherapy for Treatment of Patients With Acute Depression: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Psychiatry 2022;79(4):300-12.
  8. Szegedi A, Jansen WT, van Willigenburg APP, et al. Early improvement in the first 2 weeks as a predictor of treatment outcome in patients with major depressive disorder: a meta-analysis including 6562 patients. J Clin Psychiatry 2009;70(3):344-53.
  9. https://www.avomd.io/columbiapsychpathways