La médecine de précision – dite aussi médecine personnalisée – est un domaine en plein essor qui a le potentiel de faciliter le diagnostic et d’adapter le traitement à chaque patient. Le Pr Charles Nemeroff (Dell Medical School, Texas, États-Unis) a discuté des problèmes auxquels nous nous heurtons lorsque nous tentons de prédire la réponse à un antidépresseur ainsi que des promesses de la pharmacogénomique et de la neurophysiologie à ce congrès de l’APA de 2022.
Un traitement efficace dès le départ est important
La médecine de précision peut sembler à mille lieues de la clinique. Si le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux décrit les symptômes servant de critères diagnostiques, les cliniciens, eux, sont conscients des nombreuses combinaisons possibles de symptômes et de réponses au traitement qu’ils voient chez leurs patients. Les troubles psychiatriques tels que le trouble dépressif majeur (TDM) sont hétérogènes1, à plus forte raison quand les variants génétiques2 et la comorbidité3 sont pris en compte.
Une réponse sous-optimale au traitement prolonge la période de dépression
Un traitement efficace dès le départ est important parce qu’une réponse sous-optimale prolonge la période de dépression. Il en résulte alors de moins bons résultats, notamment un risque accru de récidive4 et une diminution de la capacité à travailler5. La dépression aggrave aussi l’issue de nombreuses affections générales6, sans compter les coûts personnels et sociaux qu’elle entraîne.
Peut-on prévoir la réponse à un antidépresseur?
Le fait de reconnaître le sous-type de TDM peut déjà orienter le médecin dans son choix d’un traitement. Par exemple, il voudra ajouter un antipsychotique ou une électroconvulsivothérapie en cas de dépression psychotique. Le « Graal » est de pouvoir déterminer le meilleur antidépresseur à prescrire en première intention à un patient donné compte tenu de ses symptômes, de ses affections concomitantes et de ses facteurs de risque, plutôt que de procéder par essais et erreurs.
Il a été démontré que certains facteurs cliniques et démographiques permettent de prévoir la réponse à un antidépresseur
Les données de l’étude STAR*D (Sequenced Treatment Alternatives to Relieve Depression)7 ont révélé que seulement 33 % des patients étaient parvenus à la rémission après leur traitement de première intention. Le taux de rémission augmentait à chaque étape subséquente malgré une efficacité moindre du traitement et une intolérance accrue au traitement.
Il a été démontré que certains facteurs cliniques et démographiques permettent de prévoir la réponse à l’antidépresseur, notamment la sévérité de la dépression8, le sexe du patient7 et les traumas subis durant l’enfance9, mais on en sait peu sur les mécanismes ou les modifications à apporter.
La pharmacogénomique en psychiatrie
La psychiatrie de précision permettrait de cerner le traitement le plus susceptible d’être le plus efficace compte tenu de l’établissement du profil génétique et de la stratification qui en découlerait. C’est déjà le cas dans d’autres sphères de la médecine, notamment le traitement du cancer du sein selon le statut de récepteurs œstrogéniques et du récepteur HER210. La variabilité pharmacogénétique qui pourrait déterminer le lien dose-effet tient à la fois à la variabilité pharmacocinétique (mutation de gènes codant pour des enzymes métaboliques et des transporteurs) et à la variabilité pharmacodynamique (mutation de gènes codant pour des récepteurs et d’autres cibles moléculaires).
La réponse à l’antidépresseur pourrait être associée aux polymorphismes génétiques du transporteur de la noradrénaline et de l’hormone de libération de la corticotrophine
Il ressort d’études que la réponse à l’antidépresseur pourrait être associée aux polymorphismes génétiques du transporteur de la noradrénaline11 et de l’hormone de libération de la corticotrophine12. Il existe des tests commerciaux permettant d’orienter le médecin quant à la réponse de diverses maladies au traitement d’après les mutations du transporteur de la sérotonine et des canaux calciques.
L’avenir
Bien que certains variants génétiques aient été associés à des affections comme le TDM, le Pr Nemeroff estime que les données sont encore insuffisantes pour que se généralisent les tests pharmacogénétiques combinatoires dans la pratique clinique13. La FDA a publié une mise en garde contre l’utilisation de tests génétiques pour prévoir la réponse à certains médicaments14. Cela dit, certaines modalités – par exemple, le statut des enzymes du cytochrome P450 - pourraient être utiles pour faciliter l’ajustement posologique de certains médicaments utilisés en psychiatrie15.
Les données sont encore insuffisantes pour que se généralisent les tests pharmacogénétiques combinatoires
En guise de conclusion, le Pr Nemeroff a discuté de l’utilisation de l’imagerie fonctionnelle16 et de la neurophysiologie17 dans ce domaine; ainsi, nous ciblerions des modèles reposant sur des circuits neuronaux plutôt que des neurotransmetteurs. L’électroencéphalographie est déjà prometteuse, tant au niveau collectif qu’individuel, pour prévoir la réponse à un antidépresseur comparativement à un placebo18, d’où un équilibre entre les données sur le mode d’action et l’utilité clinique.