La schizophrénie et le récepteur NMDA – le passé, le présent et l’avenir

Le Pr Joseph Coyle (Harvard Medical School, États-Unis) a présenté 50 ans de recherches sur les synapses glutamatergiques et leur rôle dans la physiopathologie de la schizophrénie lors de cette séance en ligne du congrès 2022 de l’APA.

Qu’est-ce que le récepteur NMDA?

La recherche du Pr Cole a porté en particulier sur le récepteur au N-méthyl-D-aspartate (R-NMDA)1. Le glutamate, acide aminé, est le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau, et le R-NMDA est l’un des récepteurs ionotropes qu’il active2. Trois événements doivent se produire pour que le R-NMDA ouvre le canal : dépolarisation post-synaptique, fixation du glutamate (sur le site récepteur du glutamate), et fixation d’un co-agoniste (sur le site modulateur de la glycine [SMG]). Dans le prosencéphale, ce co-agoniste est la D-sérine, acide aminé produit par la sérine racémase (enzyme). Le calcium peut alors traverser le canal et induire l’expression des gènes synaptiques.

Le R-NMDA contribue étroitement à l’apprentissage et à la mémoire

Le R-NMDA joue un rôle important dans la neuroplasticité, l’apprentissage et la mémoire. La kétamine et d’autres anesthésiques dissociatifs sont des antagonistes non compétitifs qui bloquent le canal du R-NMDA2.

Caractérisation de la neuropathologie

Dans les années 1970, nous avons été témoins d’un virage vers la « biopsychiatrie » ou « psychiatrie biologique», comme l’ont montré plusieurs publications d’importance dans le domaine de la schizophrénie1. Entre autres, des études tomodensitométriques ont objectivé une corrélation entre une augmentation de volume des ventricules cérébraux et une atteinte cognitive; une altération de l’activité des neurotransmetteurs a été mise en évidence; enfin, l’hypothèse de la dopamine a été proposée à la même époque.  

L'atrophie corticale – le cortex frontal et le cortex temporal sont particulièrement touchés – est corrélée avec les symptômes négatifs et l’atteinte cognitive

La schizophrénie se caractérise par des symptômes positifs, des symptômes négatifs et des déficits cognitifs, mais seuls les symptômes négatifs et l’atteinte cognitive sont des prédicteurs de l’incapacité. Certaines structures cérébrales – cortex frontal, cortex temporal, hippocampe et thalamus – sont atrophiées chez la personne atteinte de schizophrénie, entraînant une perte de volume de 3 à 5 %1. On observe une perte de neurones et d’épines dendritiques3, d’où une diminution marquée (environ 30 %) du nombre de synapses glutamatergiques1. L’atrophie corticale, déjà présente au  moment où la psychose se manifeste, continue d’évoluer pendant au moins 10 ans1. Omniprésente dans le cerveau, elle touche surtout les cortex frontal et temporal, et elle est corrélée avec les symptômes négatifs et l’atteinte cognitive, mais pas avec les symptômes positifs.

Dysfonctionnement des récepteurs NMDA

Le dysfonctionnement des récepteurs NMDA est important dans la schizophrénie

Le Pr Coyle a présenté l’hypothèse du dysfonctionnement glutamatergique dans la schizophrénie2, lequel entraîne dans le cerveau une diminution des taux de glutamate et de l’activité de la glutamate carboxypeptidase II de même qu’une augmentation des taux de N-acétyl-aspartyl-glutamate. Des données montrent que le dysfonctionnement du R-NMDA est important dans la schizophrénie, comme en témoignent des taux élevés d’antagonistes endogènes du R-NMDA dans le cerveau et le liquide céphalorachidien (LCR) et de faibles taux de D-sérine dans le LCR et le sérum2. La perfusion de kétamine chez des volontaires sains reproduit les symptômes positifs, négatifs et cognitifs de la schizophrénie ainsi que certains signes physiologiques, comme l’hypofrontalité et des mouvements oculaires anormaux2. Des symptômes s’apparentant à ceux de la schizophrénie s’observent aussi en présence d’une encéphalite auto-immune avec anticorps anti-R-NMDA2.

Modèle murin (souris K.O.) pour l’étude de la schizophrénie

Le Pr Coyle a décrit la souris knockout (K.O.) porteuse du gène codant pour la sérine racémase que son groupe a conçue comme modèle de dysfonctionnement du R-NMDA dans la schizophrénie4,5. Ces souris partagent avec l’humain de nombreuses caractéristiques des atteintes corticales associées à la schizophrénie dont l’atrophie corticale, la diminution de la complexité dendritique, le dysfonctionnement de la voie de la neuroplasticité, l’atteinte cognitive et l’anhédonie. Chez la souris K.O., il est possible de faire régresser ces altérations en lui administrant de la D-sérine à long terme5.

Qu’en est-il chez l’humain?

La D-cyclosérine, médicament utilisé dans le traitement de la tuberculose, exerce des effets neuropsychologiques, dont une consolidation de la mémoire et l’extinction de la peur

La D-cyclosérine, médicament anti-tuberculose, agoniste partiel du R-NMDA au niveau du SMG et inhibiteur de l’alaline racémase, suscite de l’intérêt chez l’humain6. Elle traverse la barrière hémato-encéphalique et exerce des effets neuropsychologiques, dont la consolidation de la mémoire et l’extinction de la peur. Certaines données montrent même qu’elle peut atténuer les symptômes positifs, négatifs et cognitifs de la schizophrénie1.

La fin du début

La schizophrénie est un problème de circuits et non un simple problème de récepteur

Nous n’en sommes qu’à « la fin du début » dans notre compréhension de la biologie de la schizophrénie, conclut le Pr Coyle, soulignant l’importance de se souvenir que la schizophrénie est un problème de circuits et non un simple problème de récepteur. Dans les années à venir, les chercheurs devront approfondir leurs connaissances sur les gènes associés au risque de schizophrénie7 – bon nombre d’entre eux agissant sur la neurotransmission glutamatergique – ainsi qu’au risque de troubles neurodéveloppementaux et d’autres maladies. L’efficacité de la D-cyclosérine ayant tendance à s’amenuiser au fil du temps1, il nous faut trouver d’autres médicaments qui agissent sur cette voie.

Références

  1. Coyle JT, Ruzicka WB, Balu DT. Fifty Years of Research on Schizophrenia: The Ascendance of the Glutamatergic Synapse. Am J Psychiatry 2020;177(12):1119-28.
  2. Uno Y, Coyle JT. Glutamate hypothesis in schizophrenia. Psychiatry Clin Neurosci 2019;73(5):204-15.
  3. Glantz LA, Lewis DA. Decreased dendritic spine density on prefrontal cortical pyramidal neurons in schizophrenia. Arch Gen Psychiatry 2000;57(1):65-73.
  4. Coyle JT, Balu DT. The Role of Serine Racemase in the Pathophysiology of Brain Disorders. Adv Pharmacol 2018;82:35-56.
  5. Balu DT, Li Y, Matthew D Puhl MD, et al. Multiple risk pathways for schizophrenia converge in serine racemase knockout mice, a mouse model of NMDA receptor hypofunction. Proc Natl Acad Sci USA 2013;110(26):E2400-9.
  6. Goff DC, Tsai G, Manoach DS, et al. Dose-finding trial of D-cycloserine added to neuroleptics for negative symptoms in schizophrenia. Am J Psychiatry 1995;152(8):1213-5.
  7. Trubetskoy V, Pardiñas AF, Qi T, et al. Mapping genomic loci implicates genes and synaptic biology in schizophrenia. Nature 2022;604(7906):502-8.