Déterminer la valeur des antidépresseurs dans le traitement de la dépression

Lors d’une séance intitulée « Antidépresseurs dans la dépression : quels en sont les effets et comment agissent-ils? », la Dre Susannah Murphy (University of Oxford, Royaume-Uni) s’est penchée sur le biais de négativité dans le traitement émotionnel de l’information  chez le patient déprimé, soulignant que la rapidité de l’impact d’un antidépresseur (AD) sur ce biais pourrait permettre de prédire une réponse cliniquement pertinente selon diverses échelles d’évaluation de la dépression. Le Dr Søren Dinesen Østergaard (Hôpital universitaire d’Ǻrhus, Danemark) a examiné avec quelle précision l’échelle de dépression de Hamilton (HAM-D) permet d’évaluer la présence et la sévérité de plusieurs symptômes, et abordé l’impact éventuel des effets indésirables des AD sur le score HAM‑D. Puis, le Dr  Jakob Näslund (Université de Göteborg, Suède) a fait valoir qu’il pourrait être plus utile d’utiliser uniquement les 6 items de l’échelle HAM‑D reflétant les symptômes dépressifs pour évaluer la réponse à un AD. Finalement, le Dr Fredrik Hieronymus (Université d’Ǻrhus, Danemark) a examiné pourquoi une analyse individuelle et non dichotomique de la réponse à un AD pourrait être plus avantageuse qu’une analyse groupée.

Effets des antidépresseurs sur le biais de négativité dans le traitement émotionnel de l’information

Une corrélation a été établie entre un score élevé de sévérité de la dépression et le rappel d’un nombre moindre d’items positifs lors d’une tâche mnésique1. Ainsi, demande la Dre Murphy, un biais de négativité dans le traitement émotionnel de l’information peut-il constituer un marqueur de prédisposition à de futurs épisodes de dépression? De fait, une étude réalisée en ligne a montré qu’une reconnaissance plus marquée, au départ, de visages exprimant la colère était significativement prédictive d’une anxiété et d’une dépression plus sévères 10 mois plus tard2.

Sur le plan neurologique, un biais affectif de négativité est associé à un déséquilibre au niveau des circuits corticolimbiques, lequel peut être inversé par une dose unique ou l’administration à court terme d’un antidépresseur (AD)3 chez des personnes atteintes de dépression4 ou des témoins sains5. Par aillleurs, des travaux ont montré que chez l’animal, un biais affectif de négativité peut être induit, et un biais affectif de positivité peut être observé à la suite de l’administration d’un AD6.

Une modification précoce du traitement émotionnel de l’information pourrait permettre de prédire la réponse clinique à un antidépresseur

La Dre Murphy fait valoir qu’une évolution positive du traitement émotionnel peut être prédictive de la réponse clinique à un AD7. Lors d’une étude multicentrique randomisée, des patients ont reçu soit le traitement habituel (TH), soit un traitement guidé par un algorithme prédictif (PreDicT). En vertu de cet algorithme, compte tenu de la performance du patient lors d’une tâche de reconnaissance de l’expression faciale après 8 semaines de traitement, il était recommandé soit de maintenir, soit de modifier le traitement. À 24 semaines, une réduction significative des symptômes anxieux a été relevée dans le groupe PreDicT comparativement au groupe TH8.

Ces observations ont donné naissance à une théorie neuropsychologique de l’action des AD, selon laquelle le traitement émotionnel de l’information connaît une transition positive rapidement après l’instauration de l’AD; par la suite, l’exposition répétée aux interactions sociales entraîne une hausse des associations positives conduisant à l’amélioration de l’humeur3.

Les échelles d’évaluation fournissent-elles une mesure adéquate de la sévérité de la dépression et d’autres facteurs?

Une évaluation de la validité clinique de l’échelle de dépression de Hamilton à 17 items (HAM-D179) a révélé que seuls 6 items sont corrélés avec l’évaluation clinique de la dépression et de sa sévérité : humeur déprimée, sentiment de culpabilité, activités et intérêts, ralentissement psychomoteur, anxiété psychique et symptômes somatiques généraux10,11.

Ces constatations sont importantes lorsqu’on mesure l’efficacité d’un AD, souligne le DrØstergaard. En effet, une ampleur de l’effet ténue ou même négative quant aux « items de réactivité marquée liée au stress » de la HAM-D17 (notamment insomnie, anxiété somatique, perte de poids et agitation psychomotrice)11,12 pourrait être attribuable à des effets indésirables (EI) associés aux AD, ce qui signifie que dans le cadre d’un essai clinique, des non-répondeurs en vertu de leur score HAM-D17 pourraient en fait être des répondeurs. De fait, dans une autre étude, plus les EI signalés étaient nombreux, plus le score HAM-D17 au terme de l’étude était élevé, mais ce n’était pas le cas du score HAM-D6 ou de l’item HAM-D « humeur dépressive »13.

Réévaluer l’efficacité d’un traitement antidépresseur sur le plan symptomatique

Le Dr Näslund signale que dans plusieurs d’études, l’efficacité des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) comparativement à un placebo n’est pas étayée par les résultats de l’évaluation par l’échelle HAM-D17. Cependant, une nouvelle analyse fondée uniquement sur les items reflétant les symptômes clés de dépression met en évidence des effets thérapeutiques importants comparativement au placebo et ce, dans un nombre beaucoup plus élevé d’études12.

Lors d’essais cliniques, l’efficacité des ISRS évaluée selon l’échelle HAM-D17 pourrait aussi dépendre de la sévérité de la dépression au départ14. Les effets positifs des ISRS évalués à l’aide de l’échelle HAM‑D17 pourraient sembler moins importants chez les patients dont la maladie n’est pas sévère; en effet, comme l’indique le Dr Näslund, plusieurs des items évalués, notamment « insomnie » et « perte de poids », pourraient être absents chez ces patients. En tenant compte uniquement de l’item « humeur dépressive » de l’échelle HAM-D17 ou en utilisant l’échelle HAM-D6, on obtient des résultats positifs comparables à ceux que l’on observe en présence d’une dépression sévère15.

L'efficacité des ISRS pourrait être masquée par l’impact d’effets indésirables sur certains items de l’échelle HAM-D17

Par ailleurs, explique le Dr Näslund, certains effets des ISRS peuvent se manifester au cours des semaines 1 à 6 du traitement16, notamment en ce qui a trait à l’item HAM-D « anxiété psychique »17. Des données indiquent aussi un effet positif des ISRS sur la mesure HAM‑D des tendances suicidaires chez l’adulte (de 25 ans ou plus), et un effet négatif significatif du traitement placebo sur les idées suicidaires18.

Étayer la valeur d’un traitement antidépresseur

Le Dr Hieronymus explique que dans beaucoup d’essais cliniques, la cote « légère amélioration » sur l’échelle d’impression clinique globale de l’amélioration (CGI-I) est définie comme une amélioration d’au moins 7 points du score HAM-D17, soit une ampleur de l’effet de 0,87519. Or, ajoute-t-il, on peut se demander si cette valeur constitue un seuil raisonnable, car elle « est pratiquement inatteignable et exigerait une rémission de près de 100 % »20.

Un problème survient notamment si, aux fins d’un essai, un score  22 est requis lors de l’évaluation par le clinicien et entraîne une « surévaluation », qui devient manifeste lorsque beaucoup de patients s’attribuent un score < 22 au moment où on leur demande de s’autoévaluer21. Selon le Dr Hieronymus, cela peut conduire au gonflement de la variation des scores évaluée par le médecin. La répartition dichotomique des scores en « rémission » et « non-rémission » peut également être problématique puisqu’elle crée une frontière artificielle suivant laquelle des patients dont le score est légèrement en-deçà, mais très proche du seuil définissant la réponse seront classés parmi les non-répondeurs22.

L’analyse d’essais cliniques sur les antidépresseurs doit tenir compte de la variabilité individuelle de la réponse et d’une éventuelle surévaluation par le clinicien

Parmi les facteurs de confusion figure aussi la variabilité individuelle de la réponse à un AD. Selon une méta-analyse, les rapports des variances au sein des groupes recevant un AD et des groupes recevant un placebo étaient comparables, ce qui a amené à conclure à l’absence de réels répondeurs aux AD23. Cependant, soutient le Dr Hieronymus, il s’agit d’une interprétation erronée, car cette méthode d’analyse permet de comparer les écarts-types et non pas la variabilité. L’analyse des données individuelles plutôt que des données groupées a permis au Dr Hieronymus et à son équipe de relever des différences dans la distribution des groupes24.

Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

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