Des données épidémiologiques ont objectivé un lien entre la consommation de cannabis et un risque accru de psychose1. La probabilité de rapporter une expérience évoquant une psychose est plus élevée chez les consommateurs de cannabis que chez les non-consommateurs; l’utilisation quotidienne du cannabis multiplie par trois le risque de trouble psychotiques1. Au congrès 2023 de la Schizophrenia International Research Society (SIRS), un panel de neuroscientifiques et de cliniciens ont discuté du lien entre la génétique, la consommation de cannabis et la psychose.
Analyse de la UK Biobank
Le Pr Michael Wainberg (Centre de toxicomanie et de santé mentale, Canada) a expliqué qu’il existe quatre types d’expérience psychotique : hallucinations auditives, hallucinations visuelles, délire de persécution et délire de référence2. Le délire de référence désigne la croyance d’une personne selon laquelle une « force étrange » essaie de communiquer directement avec elle en lui envoyant des signes ou signaux particuliers que personne d’autre ne peut comprendre2.
Il existe quatre types d’expérience psychotique : hallucinations auditives, hallucinations visuelles, délire de persécution et délire de référence.
Le Pr Wainberg et son équipe ont réalisé une étude transversale sur 109 308 participants de la UK Biobank afin de déterminer si la consommation de cannabis augmente démesurément le risque de certains types d’expérience psychotique et s’il pourrait y avoir un lien génétique entre la consommation de cannabis et les expériences psychotiques3. Ils ont constaté que l’usage fréquent du cannabis était associé aux quatre types d’expérience psychotique, en particulier le délire de persécution2. Les personnes qui avaient déjà consommé du cannabis – comparativement à celles qui n’en avaient jamais consommé – ont fait état d’expériences psychotiques à la fois plus précoces et plus pénibles2. Le Pr Wainberg et son équipe ont aussi découvert que chez les patients dont le score de risque polygénique (PRS) était élevé, il y avait un lien plus étroit entre, d’une part, la consommation de cannabis et, d’autre part, les hallucinations auditives, les hallucinations visuelles, les délires de référence et les expériences psychotiques dans leur ensemble3. Le Pr Wainberg a émis l’hypothèse voulant que les efforts visant à diminuer les méfaits associés à la consommation de cannabis puissent avoir des retombées maximales sur la santé publique s’ils ciblaient des personnes présentant des facteurs de risque de psychose2.
L’usage fréquent du cannabis a été associé aux quatre types d’expérience psychotique, en particulier le délire de persécution.
Lien génétique entre consommation de cannabis et psychose
La Pre Isabelle Austin-Zimmerman (King’s College, Royaume-Uni) a expliqué que des études d’association pangénomique (GWAS) antérieures avaient précisé le risque génétique associé à de multiples variants des gènes responsables de la psychose et de la consommation de cannabis; il semble aussi que ces traits puissent avoir une origine génétique commune4. Cependant, le lien causal entre ces traits n’est pas clair. Bien que le PRS pour la schizophrénie ne permette pas de prédire la consommation de cannabis, il améliore la prédiction du statut psychotique d’après la consommation de cannabis4.
Des données montrent que la psychose et la consommation de cannabis pourraient avoir une origine génétique commune.
À l’aide d’un cadre de travail intégré pour l’analyse locale de corrélations génétiques (LAVA), la Pre Austin-Zimmerman et son équipe se sont inspirées de GWAS antérieures afin de cartographier les régions spécifiques qui contribuent aux corrélations génétiques globales4. L’analyse MAGMA (analyse des annotations génomiques à marqueurs multiples) de ces régions a révélé l’enrichissement de paires de gènes dans le cerveau, notamment dans le cortex frontal, les noyaux gris centraux, l’hippocampe et l’hypophyse4. Ces analyses contribuent à la compréhension des différences d’architecture génétique qui sous-tendent les troubles psychotiques liés à la consommation de cannabis et la psychose en l’absence de consommation de cannabis4.
La Pre Austin-Zimmerman a aussi attiré l’attention de l’auditoire sur une recherche à laquelle elle participe actuellement intitulée « Cannabis & Me ». Cette étude indépendante vise à explorer les facteurs environnementaux et biologiques qui expliquent les différents effets du cannabis chez différentes personnes. Sous la direction de la Pre Marta di Forti,
l’étude repose sur une combinaison de tests génétiques et épigénétiques, d’analyses psychologiques et cognitives, et de la réalité virtuelle pour élucider le lien entre le bagage génétique du consommateur et l’effet du cannabis sur lui. En particulier, l’étude permettra de repérer les marqueurs environnementaux (p. ex. des antécédents de trauma), génétiques et épigénétiques les plus susceptibles de causer des problèmes de santé mentale et des problèmes sociaux chez les consommateurs5.
Chevauchement génétique entre le trouble d’utilisation du cannabis et la schizophrénie
La Pre Emma Johnson (Washington University School of Medicine, États-Unis) a présenté les résultats d’une analyse croisée des troubles (ASSET) qui avait pour but de repérer, au sein du génome complet, les principaux loci pléiotropes dans le trouble d’utilisation du cannabis (TUC) et la schizophrénie6. Les chercheurs ont pu repérer une centaine de ces loci, dont 54 montraient des effets convergents (effet similaire sur les deux troubles), et 51, des effets divergents (augmentation du risque d’un trouble vs protection)6. Dans deux cas, les chercheurs ont montré une corrélation génétique partielle significative entre le TUC et la schizophrénie. Ils ont conclu à une corrélation unique et positive entre les facteurs génétiques à l’origine du TUC et le risque de schizophrénie6.
Plus d’une centaine de variants génétiques exercent un effet sur le trouble d’utilisation du cannabis et la schizophrénie.
Ces analyses seront actualisées dans un proche avenir grâce à une GWAS de plus grande envergure sur le TUC de même qu’à l’inclusion d’ancêtres non européens6.
Lien bidirectionnel entre psychose et consommation de cannabis
Le Pr Sinan Guloksuz (Université de Maastricht, Pays-Bas) a présenté les résultats de la recherche de son groupe qui explorait le lien temporel entre la consommation de cannabis, les symptômes anxieux/dépressifs et les expériences psychotiques. En faisant une analyse de médiation des données de la deuxième étude longitudinale NEMESIS-2 (Netherlands Mental Health Survey and Incidence Study-2), les chercheurs ont découvert l’existence d’un lien bidirectionnel entre la consommation de cannabis, les symptômes anxieux/dépressifs et les expériences psychotiques7. Autrement dit, les symptômes anxieux/dépressifs médient le lien entre consommation de cannabis et psychose, alors que la consommation de cannabis médie aussi le lien entre symptômes anxieux/dépressifs et psychose. Les symptômes anxieux/dépressifs se sont révélés un meilleur médiateur de la psychose que la consommation de cannabis7.
Le lien entre la consommation de cannabis, les symptômes anxieux et dépressifs et la psychose est bidirectionnel.
Le Pr Guloksuz a aussi présenté les résultats d’une autre étude qui explorait les facteurs non génétiques associés aux expériences psychotiques chez les participants de la UK Biobank7. Les trois principaux facteurs d’exposition les plus susceptibles (risque relatif approché) d’être associés à une expérience psychotique étaient la survenue par le passé d’une période maniaque/d’excitabilité, de gestes d’automutilation et d’idées d’automutilation. Lorsque les chercheurs se sont penchés sur la consommation de cannabis, ils ont constaté un lien bidirectionnel entre ce facteur et les expériences psychotiques7. L’équipe du Pr Guloksuz a conclu que la consommation de cannabis accroît la dysrégulation affective, ce qui vient étayer la théorie d’une « voie affective » vers la psychose7.
Le Pr Guloksuz a terminé son allocution en faisant part à l’auditoire de l’un de ses projets de collaboration à venir, le projet Youth-GEMS. Ce projet vise à intégrer les données d’études moléculaires, génétiques, épigénétiques, épidémiologiques et cliniques afin d’établir des liens entre divers processus biologiques dynamiques façonnés par l’environnement qui surviennent durant les étapes clés du neurodéveloppement et l’expression d’une mauvaise santé mentale8.
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.