Lors du symposium sur l’évaluation et la prise en charge des troubles du sommeil chez les patients anxieux et déprimés organisé dans le cadre du 35e Congrès de l’ECNP à Vienne, en Autriche (15 au 18 octobre), le Pr Francesco Benedetti (Universitá Vita-Salute San Raffaele, Milan, Italie) a expliqué comment la lumière peut exercer un effet direct non seulement sur le rythme circadien, mais aussi sur les systèmes neurologiques intervenant dans l’humeur et le sommeil ainsi que sur divers facteurs influant sur le système immunitaire. L’incidence plus élevée de dépression saisonnière durant les mois d’hiver en témoigne. L’association de la luminothérapie et de la privation de sommeil peut exercer rapidement des effets antidépresseurs durables. La Dre Laura Palagini (Università degli Studi di Ferrara, Italie) a pour sa part décrit comment l’hyperexcitation observée en cas d’insomnie s’apparente à celle des personnes atteintes d’un trouble anxieux. Les deux affections peuvent donc se renforcer l’une l’autre et pourraient devoir être évaluées et traitées ensemble. La thérapie cognitivo-comportementale est l’un des traitements à envisager.
Liens entre le rythme circadien, les troubles du sommeil et la dépression
La lumière peut exercer un effet direct sur la libération des neurotransmetteurs. Par exemple, lorsque les journées sont courtes, on observe chez le rat une signalisation dopaminergique accrue dans l’hypothalamus, ce qui amoindrit le fonctionnement des neurones à somatostatine; il en résulte une diminution du CRF (facteur libérant la corticotropine) et, par conséquent, une baisse des taux plasmatiques de corticostéroides. Cette cascade donne lieu à une diminution des comportements liés au stress, les rats préférant la vie nocturne. Vu notre préférence pour la lumière du jour, c’est l’inverse qui se produit chez l’humain durant les journées courtes : le stress et la dépression augmentent1.
Si le rythme circadien est perturbé, la réponse immunitaire, l’axe hypothalamo-hypophysaire et les rythmes métaboliques peuvent aussi être perturbés, et l’humeur peut être affectée2. La perturbation du rythme circadien peut donc avoir un effet sur la sévérité d’une myriade de maladies, notamment des affections métaboliques, neurologiques et psychiatriques3. Chez les personnes souffrant d’un trouble de l’humeur, une vulnérabilité a été mise en évidence dans les gènes associés au rythme circadien, ce qui entraîne une désynchronisation du rythme circadien et des régulateurs de l’homéostasie4. En outre, le stress ressenti au cours des premières années de vie, voire durant la grossesse, peut entraîner des perturbations du sommeil et une dysrégulation du rythme circadien, lesquelles pourraient donner lieu à des modifications épigénétiques et ultérieurement à une vulnérabilité aux troubles de l’humeur5.
Des perturbations du rythme circadien peuvent être présentes dans les troubles de l’humeur, dont la dépression et les troubles bipolaires, et contribuer à ces troubles
En temps normal, le sommeil est régulé par un processus circadien et déterminé par le déficit de sommeil : autrement dit, plus une personne demeure éveillée longtemps, plus elle a sommeil. En présence d’un trouble de l’humeur, la somnolence ne s’accumule pas autant; il en résulte un déplacement et une perturbation des rythmes circadiens6. Les troubles du sommeil sont surtout observés chez les personnes atteintes de dépression et sont annonciateurs d’un épisode dépressif7. Au nombre des changements observés figurent des altérations des cycles de sommeil, un sommeil fragmenté, une diminution du nombre de phases de sommeil paradoxal et un réveil précoce8.
Chez une personne en santé, le mi-temps du sommeil se produit 6 heures après le début de la sécrétion de mélatonine en réponse à l’absence de lumière. Les scores de la dépression saisonnière augmentent chez les personnes dont le mi-temps est supérieur ou inférieur à la normale9. On observe aussi une augmentation du taux de mélatonine et de la durée de sécrétion de la mélatonine10. Dans une étude menée chez des adolescents et de jeunes adultes aux prises avec un trouble de l’humeur, le taux de mélatonine était significativement plus élevé chez ceux qui souffraient de dépression que chez ceux qui souffraient d’un trouble bipolaire; la mélatonine avait également commencé à être sécrétée significativement plus tôt chez les jeunes atteints de dépression. Dans les deux cas, on a observé un aplanissement du pic de mélatonine11.
En outre, la sévérité des symptômes de la dépression saisonnière est corrélée avec une augmentation du taux de transporteur de la sérotonine (d’où un taux moindre de sérotonine libre)12. Les taux de protéine C-réactive et de polynucléaires neutrophiles, deux marqueurs de l’inflammation, augmentent durant les mois d’hiver, alors que le taux de lymphocytes diminue13. Il s’agit là d’un enjeu clé dans la biologie du sommeil, car les cytokines contribuent à la chronologie du sommeil14. Chez les personnes atteintes de dépression saisonnière, on observe une augmentation significative des concentrations d’interleukine-1 et de TFNa, et de l’activité des macrophages de même qu’une diminution de la prolifération des lymphocytes15.
L’association de la luminothérapie et de la privation de sommeil peut exercer rapidement des effets antidépresseurs
La luminothérapie a fait l’objet d’essais sur le traitement des troubles de l’humeur, et son efficacité a été démontrée, qu’elle ait été utilisée seule16 ou en association avec des antidépresseurs17. Cette thérapie peut avoir pour effet d’accroître l’activité de la sérotonine et la libération de dopamine, d’augmenter le taux de noradrénaline et de désensibiliser les récepteurs NMDA (n-méthyl-D-aspartate) du glutamate18. L’efficacité de la luminothérapie est optimale lorsqu’elle est utilisée le matin, 8 heures après le pic de mélatonine de la veille, explique le Pr Benedetti19. L’heure du pic de mélatonine peut être établie à l’aide du questionnaire de matinalité et vespéralité 20. Chez les personnes atteintes de dépression saisonnière, l’augmentation des facteurs inflammatoires et les variations immunitaires dont il est question plus haut peuvent être corrigées sous luminothérapie15.
Alors que la privation totale ou partielle de sommeil durant la première partie de la nuit peut contribuer à la dépression, la privation totale ou partielle de sommeil durant la deuxième partie de la nuit peut exercer des effets antidépresseurs21. Il a aussi été démontré que la privation de sommeil corrige les déficits de plasticité synaptique22 et reconstruit la connectivité dans la microstructure de la substance blanche23. Lors d’une discussion sur l’association de la luminothérapie et de la privation de sommeil, le Pr Benedetti a présenté un protocole où les patients sous lithium demeuraient éveillés pendant 3 périodes de 36 heures au cours d’une semaine et étaient autorisés à faire une séance matinale de luminothérapie les jours où le sommeil nocturne était permis. Ce protocole a donné lieu à une chute immédiate des scores de dépression, et cette baisse s’est poursuivie tout au long de la semaine. Dans une étude qui évaluait ce protocole, les chercheurs ont observé un taux de réponse de 70 %; bien que la dépression ait récidivé chez 21 % des patients, une rémission globale a été démontrée chez 55 % des patients24.
Liens entre l’insomnie et l’anxiété
Lorsqu’elle s’accompagne de certains facteurs biologiques et psychologiques, l’insomnie peut être un trouble lié au stress25. Elle peut être à la fois la cause et la conséquence d’une réactivité émotionnelle et cognitive, entraînant ainsi des dysfonctions cognitives (comme la rumination et l’inquiétude), des comportements mésadaptés (comme les siestes diurnes et un horaire de sommeil irrégulier) et les conséquences de ces facteurs, notamment la fatigue, une gêne en situation sociale, des perturbations de l’humeur et une dégradation de la performance. Ces domaines interagissent les uns avec les autres et se renforcent les uns les autres, si bien qu’ils exacerbent encore l’insomnie26.
L'insomnie est aussi associée à l’accumulation de déchets dans le cerveau qui sont généralement éliminés durant le sommeil, à une neuro-inflammation accrue ainsi qu’à une réduction de la connectivité entre l’amygdale et le cortex préfrontal (CPF) médian, deux zones du cerveau associées au stress et à la régulation des émotions27. On observe également une activation moindre du CPF et de la tête du noyau caudé, de même qu’une hyperactivation du système d’éveil28. Chez les personnes souffrant d’insomnie, les perturbations du sommeil paradoxal s’apparentent à celles qu’on observe dans la dépression. Ici, le traitement des émotions est perturbé, et s’accompagne d’une activation continue de l’amygdale29.
L’hyperexcitation présente dans l’insomnie peut interagir avec l’hyperexcitation présente dans les troubles anxieux
Les troubles anxieux se caractérisent aussi par une hyperactivation du système de réponse au stress du cerveau, lequel repose sur le CPF médian, l’hippocampe et l’amygdale30, ainsi que par une activation de l’inflammation31. Comme l’insomnie pourrait jouer un rôle dans les troubles anxieux, il est important d’évaluer les liens cliniques et neurobiologiques potentiels entres les deux, affirme la Dre Palagini. Une méta-analyse a montré que l’insomnie multiplie par 2 ou 3 le risque d'apparition d'un trouble anxieux32. L’insomnie est elle-même exacerbée par des aspects de l’anxiété tels que l’inquiétude, le stress perçu, les pensées négatives et la rumination, et pourrait à son tour alimenter ces facteurs33. Cliniquement, l’insomnie pourrait aussi alimenter l’hyperexcitation et l’hyperstimulation cognitive, ce qui – une fois de plus – conduit à l’apparition et à l’exacerbation des troubles anxieux34. Dans une étude qu’elle a réalisée, la Dre Palagini a objectivé un lien entre une faible résilience, une dysrégulation émotionnelle et une hyperexcitation cognitive pré-sommeil5. Des données montrent aussi que la neuro-inflammation liée à l’insomnie pourrait s’ajouter aux facteurs liés à l’anxiété comme une réduction de la plasticité cérébrale34. Ces résultats ne sont pas étonnants, car il y a des chevauchements entre les zones du cerveau impliquées dans l’anxiété et l’insomnie, tels le CPF, le cortex cingulaire antérieur et l’amygdale35,36.
La thérapie cognitivo-comportementale peut contribuer à améliorer l’insomnie et les troubles anxieux
Les neurones à orexine, situés dans l’hypothalamus latéral, sont responsables du passage soudain de l’éveil à la somnolence et vice-versa. Ils reçoivent normalement des afflux excitateurs qui se projettent vers les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale et les neurones noradrénergiques du locus coeruleus. Ce phénomène peut être exacerbé en présence de stress et d’anxiété. Par conséquent, avance la Dre Palagini, l’orexine pourrait jouer un rôle dans l’insomnie37.
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.