Les biomarqueurs d’un début de dépression : les yeux en disent long!

Le dépistage et le traitement précoces du trouble dépressif majeur (TDM) sont reconnus pour contribuer étroitement à l’optimisation des résultats1. Il n’existe toujours pas de biomarqueur fiable d’un début de TDM, mais c’est une question qui suscite actuellement beaucoup d’intérêt en recherche. Durant une communication par affiche présentée à la conférence annuelle de 2023 de l’Association des psychiatres du Canada (APC), qui a eu lieu à Vancouver en octobre, des chercheurs du Centre for Neuroscience Studies, Queen’s University, à Kingston, en Ontario, ont présenté les possibilités qu’offre l’oculométrie pour le dépistage de la dépression chez les adolescents.

Le mouvement oculaire comme biomarqueur du TDM 

Il est reconnu depuis longtemps que les réactions et mouvements oculaires peuvent nous renseigner sur les fonctions cognitives et la gestion des émotions2. De récentes avancées technologiques ont mené à la mise au point d’outils complexes qui permettent de mesurer avec précision les saccades – que l’on définit comme des sauts rapides du centre du regard entre deux points de fixation du champ visuel – et de déterminer en quoi les troubles de l’humeur peuvent modifier ces mouvements2. Les saccades pourraient donc être des biomarqueurs novateurs du trouble dépressif majeur (TDM) qui faciliteraient son dépistage précoce. 

Les mouvements oculaires rapides nous renseignent sur les fonctions neuronales que le TDM peut impacter

Des études utilisant des logiciels d’oculométrie spécialisés chez l’adulte étayent la validité de l’altération des mouvements oculaires comme biomarqueur d’un début de TDM3. En effet, la durée de fixation (c’est-à-dire la durée du regard sur un stimulus) est moins longue chez les personnes atteintes d’un TDM que chez les témoins sains, et la thérapie cognitivo-comportementale permet d’y remédier3. Fait important à souligner, les changements dans la fixation du regard et l’amplitude des saccades sont corrélés avec le score de dépression PHQ-9, ce qui donne à penser que l’oculométrie pourrait être une méthode objective pour le diagnostic du TDM et la surveillance de la réponse au traitement antidépresseur3.

Étude des mouvements oculaires chez les adolescents atteints d’un TDM 

Les biomarqueurs non invasifs d’un début de dépression pourraient être particulièrement utiles dans le TDM chez les adolescents, population moins bien étudiée que les adultes. Un groupe de chercheurs en neurosciences de Queen’s University a émis l’hypothèse voulant que des altérations connues dans le cortex frontal, les noyaux gris centraux et le cortex limbique chez des adolescents déprimés puissent se manifester par une altération des saccades, du comportement de la pupille et des clignements durant un test oculométrique standardisé. Pour vérifier leur hypothèse, ils ont comparé 79 adolescents en santé et 26 adolescents (âge moyen de 16 ans) atteints d’un TDM à l’aide du système oculométrique Eye-Link 1000 Plus, lequel mesure les mouvements oculaires en réponse aux tâches vidéo pro/anti-saccades. Les saccades sont des mouvements brusques et rapides des yeux lorsque ces derniers changent de point de fixation. Dans le cadre d’une tâche pro-saccade, le patient fixe le regard sur un point central, puis déplace son regard le plus vite possible vers un point cible situé dans le champ visuel périphérique3. La tâche anti-saccade permet de mesurer le contrôle inhibiteur, car le patient doit supprimer volontairement le réflexe de déplacer son regard vers un stimulus visuel périphérique. Les résultats préliminaires de l’étude de Queen’s University ont objectivé plusieurs différences significatives entre les adolescents déprimés et les adolescents sains quant aux mouvements oculaires, notamment une augmentation des changements express (rapides) et une augmentation du taux d’erreurs dans les tests pro/anti-saccades, ainsi qu’une modification du délai entre la constriction et la dilatation des pupilles et du taux de clignements durant les tâches de fixation.

Les chercheurs ont observé une altération significative des mouvements oculaires chez les adolescents déprimés vs les adolescents sains

Biomarqueurs non invasifs novateurs de la dépression 

Ces observations donnent tout lieu de croire que les tests oculométriques non invasifs pourraient potentiellement distinguer les adolescents atteints d’un trouble dépressif des adolescents en santé. Des études chez l’adulte ont montré que l’oculométrie permettait aussi de différencier des types particuliers de dépression (p. ex. unipolaire vs bipolaire)2. Des chercheurs se penchent activement sur d’autres avancées technologiques de l’oculométrie quant à leur potentiel pour repérer et surveiller les personnes atteintes de dépression. Par exemple, les senseurs et les applications pour téléphones intelligents permettent de détecter des marqueurs comportementaux de la dépression, et les données collectées passivement par les cellulaires peuvent servir au dépistage continu des symptômes dépressifs et à la surveillance des variations de leur sévérité4.

Des applications pour téléphone intelligent font l’objet d’études visant à déterminer si elles peuvent servir à repérer et à surveiller les symptômes dépressifs 

Les chercheurs de Queen’s University en sont venus à la conclusion que les outils oculométriques pourraient être fort utiles pour le dépistage non invasif de la dépression chez les adolescents ainsi que pour la découverte de biomarqueurs innovants des troubles mentaux chez l’adolescent qui en favoriseraient le dépistage précoce. Il serait justifié de faire d’autres études auprès d’échantillons plus vastes pour valider ces résultats préliminaires, mais fort prometteurs. 
 

Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

  1. Kraus et al. Translational Psychiatry 2019;9:127.
  2. Carvalho et al. Frontiers Psychol 2015;6:1809.
  3. Zheng et al. Frontiers Psychiatry 2024;15:1280935.
  4. Chaudhary et al. JMIR Form Res 2022;6:e37736.