Les personnes vivant avec la migraine considèrent le dysfonctionnement cognitif comme l’un des handicaps majeurs durant une crise. L’évaluation des fonctions exécutives et les examens d’imagerie l’ont confirmé, et les différences observées par rapport aux personnes non migraineuses persistent au-delà de la crise. La Dre Raquel Gil-Gouveia, Hospital da Luz, Lisbonne, Portugal, a discuté de ses recherches et de celles d’autres scientifiques sur le même sujet à l’édition 2023 de l’International Headache Congress (IHC), à Séoul, en Corée du Sud. Il existe aussi un lien fort entre migraine et perturbations du sommeil : comme l’explique le Dr Mamoru Shibata, professeur adjoint, département de neurologie, École de médecine de l’Université Keio, Tokyo, Japon, la survenue de l’un est plus susceptible de provoquer la survenue de l’autre. Selon des études d’imagerie, ce lien pourrait tenir à des perturbations dans les régions hypothalamiques responsables du cycle veille-sommeil. Comme l’affirme Dawn Buse, professeure de clinique en neurologie, Albert Einstein College of Medicine, New York, États-Unis, la migraine peut coexister avec divers troubles psychiatriques, la dépression et l’anxiété étant les plus fréquents. Le lien est bidirectionnel, la survenue de la dépression étant plus susceptible de conduire à la migraine et vice versa, potentiellement en raison de facteurs génétiques et/ou environnementaux que ces affections ont en commun. Les traitements ciblant à la fois la migraine et les troubles psychiatriques peuvent être utiles dans les deux domaines.
Dysfonctionnement cognitif et migraine
Les problèmes cognitifs, telles les difficultés de concentration, les perturbations intellectuelles, les difficultés d’élocution et les difficultés à penser, peuvent s’observer durant une crise migraineuse, depuis la phase précédant la crise jusqu’à la phase postdromique1. Durant la phase de céphalée, en particulier, la majorité des patients en proie à une crise migraineuse font état de changements de leurs capacités mentales2. Les évaluations des fonctions exécutives et de l’élocution durant une crise migraineuse confirment les difficultés cognitives rapportées par les patients3-5; de plus, une étude d’imagerie effectuée durant la crise migraineuse chez des patients atteints de migraine épisodique ou chronique de fréquence élevée a révélé un émoussement de l’activité cérébrale liée aux tâches dans les régions participant aux fonctions cognitives et exécutives6.
Les difficultés cognitives ne se limitent pas forcément à la période où se déroule la crise migraineuse. En effet, une autre étude d’imagerie réalisée entre les crises chez des patients atteints de migraine épisodique de faible fréquence a objectivé des corrélations entre une diminution de la densité de la substance grise dans l’aire 9 de Brodmann du lobe frontal et une diminution de la performance lors de la commutation de tâches7.
Les personnes atteintes de migraine estiment que les difficultés cognitives sont parmi les facteurs les plus invalidants de la migraine1
C’est un point important, explique la Pre Gil-Gouveia, car les patients considèrent les problèmes cognitifs comme l’une des deux grandes causes d’incapacité liée à la migraine, outre la douleur2,8. Il peut en résulter l’apparition d’une « cognophobie » ou « crainte de ne pas pouvoir performer suffisamment bien durant une crise », ce qui peut donner lieu à des comportements d’évitement9.
Perturbations du sommeil et migraine
Un sommeil de piètre qualité est connu pour déclencher des crises migraineuses et est associé à une fréquence plus élevée de crises, surtout chez les personnes aux prises avec une migraine chronique10-15. Même chez les personnes ne souffrant pas de céphalées, l’insomnie est liée à l’apparition d’une crise migraineuse16. Inversement, chez les personnes avec migraine, le risque d’insomnie augmente avec l’intensité de la douleur et la fréquence des crises12,13,16-18. Bien qu’une piètre qualité de sommeil et la dépression ou l’anxiété coexistent aussi chez les personnes vivant avec la migraine10, le lien entre la migraine et l’insomnie ne peut pas s’expliquer uniquement par la présence de ces troubles13.
Le cycle veille-sommeil suit typiquement un rythme circadien, lequel est régi par des protéines spécifiques du noyau suprachiasmatique19. Les mutations du gène codant pour ces protéines sont associées au syndrome d’avance de phase du sommeil et à la migraine20. « Ces données indiquent que les anomalies du rythme circadien et la migraine ont un mécanisme pathologique commun », enchaîne le Dr Shibata.
L'hyperactivation de l’hypothalamus durant la migraine pourrait perturber le sommeil23
Les circuits et les projections de promotion de l’état de veille se situent dans le cerveau entre l’hypothalamus latéral, le noyau tubéromammillaire, le locus coeruleus et le noyau du raphé. Le noyau ventrolatéral préoptique de l’hypothalamus est le principal centre de promotion du sommeil. L’équilibre entre ces systèmes dicte le passage du sommeil à l’état de veille et vice versa21. L’hypothalamus a aussi un rôle à jouer dans la régulation de l’appétit, du stress et de l’humeur22. Dans la phase précédant la crise migraineuse, l’hyperactivation de l’hypothalamus survient en réponse à des stimuli nociceptifs, visuels ou trigéminaux. On observe aussi un couplage fonctionnel plus fort entre les noyaux spinaux du trijumeau et l’hypothalamus. Selon le Dr Shibata, cela « donne à penser que l’hypothalamus désinhibe le système trigéminal durant la phase précédant la crise. » Pendant la crise en tant que telle, on observe un couplage plus fort entre le pont rostral dorsal et l’hypothalamus23.
Les chercheurs se sont penchés sur un certain nombre de traitements pour la migraine et l’insomnie coexistantes qui pourraient améliorer la qualité et la durée du sommeil tout en diminuant la fréquence, l’intensité ou les symptômes des céphalées. Au nombre de ces traitements figurent la thérapie cognitivo-comportementale24, un régime cétogène25, un bloc nerveux par la lidocaïne26 et, chez les patients sans « état émotionnel négatif » au départ, la toxine botulinique11.
Troubles psychiatriques et migraine
La migraine est fortement associée avec la dépression majeure, le trouble panique et plusieurs phobies au cours de la vie27. À en juger par une vaste étude américaine menée chez des personnes vivant avec la migraine, le risque relatif approché de dépression ou d’anxiété concomitantes était de 3,18 (p < 0,001) : le risque de comorbidité est donc multiplié par trois environ. La probabilité augmente parallèlement au nombre de jours avec céphalée pour les deux affections17,28. La dépression et l’anxiété sont aussi des facteurs de risque de chronicisation de la migraine17, et la force de cette association dépend fortement de la sévérité de la dépression29. Il y a aussi un lien entre la céphalée par abus médicamenteux (CAM) et la dépression ou l’anxiété30.
Le lien entre migraine et dépression est bidirectionnel31 et la survenue de l’une durant le prodrome est plus susceptible de favoriser l’apparition de l’autre32. La coexistence de la migraine et de la dépression pourrait tenir à des facteurs de risque environnementaux et génétiques communs33.
Des facteurs environnementaux et génétiques communs pourraient contribuer à la migraine et aux troubles psychiatriques coexistants
La réponse aux traitements contre la migraine en présence de troubles psychiatriques coexistants suscite des inquiétudes, mais la Pre Buse a expliqué qu’il n’y a pas forcément raison de s’inquiéter. Une étude sur le traitement par la toxine botulinique a objectivé des réponses significatives chez les personnes aux prises avec une migraine et une dépression coexistantes34. Dans une autre étude, comparativement à des personnes ne présentant pas de trouble thymique ou anxieux, le nombre de jours avec migraine a diminué davantage après un traitement préventif (b-bloquant et prise en charge comportementale de la migraine) chez les personnes présentant ces troubles coexistants. Ce phénomène pourrait tenir au fait que, chez ces patients, le score d’incapacité liée à la céphalée était plus élevé avant le traitement alors qu’il était similaire après le suivi du traitement à long terme35.
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.