Les troubles liés à l’usage d’une substance (TUS) sont répandus chez les patients atteints d’un trouble bipolaire (TB), et ils compliquent le diagnostic et le traitement optimal de ce trouble de l’humeur. Dans le cadre d’un webinaire éducatif intitulé Improving the Lives of Patients with Bipolar Disorder offert par le Neuroscience Education Institute (NEI), le Dr Joseph Goldberg, professeur clinicien, Département de psychiatrie, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, a encouragé les cliniciens à « toujours adopter une approche de détective » pour la prise en charge d’un TUS et d’un TB concomitants.
Dilemmes diagnostiques
Avant de poser un diagnostic de trouble bipolaire (TB), il est fondamental d’exclure l’utilisation d’une substance comme facteur causal d’un épisode maniaque, hypomaniaque ou dépressif sévère. De fait, en vertu du DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition), l’un des quatre critères diagnostiques d’un TB est que l’épisode n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (p. ex. substance donnant lieu à un abus, médicament ou autre traitement) ou à une autre affection médicale1. Cela tient au fait que les effets physiologiques et/ou psychologiques de l’utilisation d’une substance peuvent évoquer des troubles psychiatriques tel un TB.
La présence d’un trouble lié à l’utilisation d’une substance (TUS) actif réduit la fiabilité des outils de dépistage des TB, les valeurs prédictives positives chutant à 25-30 % en présence d’un TUS et à 20-22 % si 2 ou 3 substances sont utilisées2. Cela ne doit toutefois pas dissuader le clinicien de recourir à ces outils s’il suspecte un TB au vu du tableau clinique, mais il doit garder à l’esprit que le diagnostic pourrait être plus difficile à confirmer.
L’utilisation d’une substance compromet la fiabilité des outils de dépistage des TB et en complique le diagnostic
Une autre énigme que doit résoudre le clinicien consiste à distinguer l’utilisation d’une substance d’un TUS. Parmi les signaux d’alarme indicateurs d’un TUS figurent : envie impérieuse de consommer, difficulté à maîtriser la consommation, négligence d’autres aspects de la vie quotidienne et utilisation continue de la substance en dépit des conséquences négatives de la consommation1. En présence d’un trouble de l’humeur, notamment d’un TB, le clinicien doit suspecter un TUS; en effet, la prévalence des TUS chez les patients aux prises avec un trouble de l’humeur est nettement plus élevée que dans la population générale. Aux É.-U., une étude épidémiologique de grande envergure sur l’usage de l’alcool et des troubles connexes a révélé que la probabilité d’un trouble lié à l’usage de l’alcool est de 1,5 à 2 fois plus élevée chez les personnes atteintes d’un TB de type 1 qu’au sein de la population générale3. D’autres études épidémiologiques ont indiqué des tendances comparables associées à l’utilisation d’autres substances telles que le cannabis, les stimulants, la cocaïne, les sédatifs et les opiacés4,5. Le Dr Goldberg aime bien faire part de ces statistiques à ses patients atteints d’un TB afin qu’ils deviennent des « consommateurs avertis » et comprennent qu’ils sont plus vulnérables aux TUS que la population générale.
La probabilité d’un TUS est de 1,5 à 2 fois plus élevée chez les patients atteints d’un TB qu’au sein de la population générale
Un TUS concomitant a une foule de répercussions négatives chez le patient aux prises avec un TB
Sans surprise, la concomitance TUS-TB est associée à des résultats cliniques moins favorables, notamment : moins bonne réponse au traitement pour le TB et moins bonne observance, taux accru d’hospitalisations, augmentation du risque suicidaire, diminution du fonctionnement neuropsychologique et cognitif, particulièrement dans les domaines attentionnel et exécutif6,7. Dans une étude récente sur l’impact d’un TUS sur la connectivité structurale du cerveau dans les TB, les chercheurs ont formulé une hypothèse novatrice qui permettrait d’expliquer pourquoi le cerveau bipolaire est prédisposé au risque d’utilisation et d’abus de substances8. Selon cette hypothèse, comparativement aux personnes sans TB, les personnes avec TB présenteraient une connectivité accrue dans le gyrus paracingulaire et une connectivité réduite dans un réseau de contrôle exécutif, et de ce fait, tendraient davantage à une régulation émotionnelle axée sur des moyens externes. Bref, résume le Dr Goldberg, une labilité de l’humeur rendrait les personnes avec TB moins aptes à appliquer de saines stratégies de régulation émotionnelle et les conduirait à songer plus spontanément à utiliser une substance.
Les TB sont associés à des altérations cérébrales neurocognitives qui accentuent la vulnérabilité à l’utilisation de substances
Points à considérer pour la prise en charge d’un TUS et d’un TB concomitants
Le Dr Goldberg souligne l’importance d’une démarche psychopédagogique pour aider le patient aux prises avec un TB à prendre des décisions éclairées, à plus forte raison en présence d’un TUS concomitant. Il préconise d’éduquer les patients sans porter de jugement, en leur présentant des modèles d’autoprise en charge et de vulnérabilité qui en feront des « consommateurs avertis »; en outre, fait valoir le Dr Goldberg, il importe de poser un diagnostic précis, car « le bon diagnostic conduit généralement au bon traitement ». Des interventions comportementales formelles comme la thérapie de groupe intégrative, laquelle a été spécialement conçue à l’intention de cette population à « diagnostic mixte », ont été associées à une moindre utilisation de substances chez les patients atteints d’un TB et d’un TUS concomitants9. Des études ont montré que certains thymorégulateurs et certains antipsychotiques atypiques, particulièrement les agonistes dopaminergiques partiels, favorisaient une moindre utilisation de substances chez des patients avec TB; toutefois, il s’agissait généralement d’études de petite envergure, qu’il faudra reproduire en suivant de plus vastes cohortes10.
Afin de prendre des décisions éclairées, les patients atteints d’un TB doivent savoir qu’ils sont plus vulnérables aux TUS
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.