De nombreux patients aux prises avec un trouble dépressif majeur (TDM) présentent une anhédonie, soit une incapacité à ressentir de l’intérêt ou du plaisir à l’égard de choses ou d’activités qu’ils appréciaient auparavant1. Particulièrement difficile à traiter, l’anhédonie est associée à une hausse de la sévérité des épisodes dépressifs et du risque suicidaire1,2. Dans le cadre de la série de webinaires Saturday Morning Live proposée par le Neuroscience Education Institute (NEI), le Dr Vladimir Maletic, professeur de clinique en psychiatrie, University of South Carolina School of Medicine, a décrit la neurobiologie de l’anhédonie et présenté les données probantes actuelles à l’appui d’approches médicamenteuses et non médicamenteuses de l’anhédonie, tout en faisant valoir l’importance d’un parcours thérapeutique personnalisé.
L’anhédonie est fréquente chez les patients vivant avec la dépression
L’anhédonie se manifeste par une perte d’intérêt ou de motivation à l’égard de situations auparavant perçues comme agréables1. Ce symptôme de dépression résulterait d’une connectivité anormale entre le réseau de la saillance, le réseau sensorimoteur, le réseau exécutif central et le réseau du mode par défaut dans le cerveau3,4. On distingue deux types d’anhédonie, chacun ayant sa propre neurobiologie et sa propre portée clinique. D’une part, l’anhédonie de consommation, ou incapacité à ressentir du plaisir lors de la pratique d’activités impliquant des relations interpersonnelles ou des récompenses naturelles, notamment le plaisir sexuel ou gustatif1. D’autre part, l’anhédonie d’anticipation, qui désigne l’incapacité à pressentir des expériences agréables et est associée à une baisse de motivation1.
L’anhédonie peut se concevoir comme une baisse de la capacité à déceler les récompenses7
L’anhédonie clinique touche ≈ 70 % des personnes aux prises avec un TDM5 et 52 % des patients atteints d’un trouble bipolaire6. L’anhédonie est plus prononcée chez les patients dont la dépression est « difficile à traiter » ou réfractaire au traitement (DRT)7. L’anhédonie d’anticipation est associée à un risque suicidaire accru1, d’où l’importance d’évaluer les éléments d’anticipation au moment d’élaborer un plan thérapeutique personnalisé. L’anhédonie pourrait également être un indicateur pronostique négatif du délai d’obtention d’une rémission et du nombre de jours sans symptômes dépressifs dans le traitement par un inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS)8. Dans ses plus récentes lignes directrices pour la prise en charge du TDM, le CANMAT (Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments) a souligné l’intérêt majeur que soulève l’anhédonie en recherche clinique, faisant valoir que plusieurs médicaments font l’objet d’études cliniques préliminaires dont le paramètre principal cible l’anhédonie9.
De plus en plus, l'anhédonie est considérée comme un marqueur important de la sévérité de la maladie et une cible prometteuse du traitement de la dépression9
Aberration des circuits neuronaux et de la neurotransmission dans l’anhédonie
Le Dr Maletic décrit le circuit cérébral de la récompense comme un circuit tridimensionnel (cortico-striato-thalamique) comportant trois modalités différentes (cognitive, sensorielle et émotionnelle) par voie desquelles l’information est intégrée et constamment actualisée. Les connexions entre les réseaux cérébraux intrinsèques pourraient sous-tendre ces modalités4. Composé du cortex cingulaire antérieur dorsal et de l’insula antérieure, le réseau de la saillance détecte les stimuli importants, ce qui permet le traitement émotionnel de l’information reçue (p. ex. sentiment d’anxiété ou d’urgence)4. Une fois qu’il a repéré un stimulus externe pertinent, le réseau de la saillance transmet l’information aux régions prémotrices et motrices, lesquelles amorcent une réponse comportementale4. Le réseau exécutif central contribue au repérage de changements environnementaux nécessitant une adaptation comportementale qui permettra une réponse organisée, notamment la planification d’actions, le maintien de l’attention, et la mobilisation de la mémoire de travail4. Chez les patients aux prises avec une dépression, la collaboration et la connectivité de ces réseaux fonctionnels sont aberrantes : plutôt que de déclencher des mécanismes d’adaptation dans le réseau exécutif central, ils stimulent le réseau du mode par défaut, lequel génère des ruminations d’expériences négatives4.
Chez les patients aux prises avec une dépression, la collaboration et la connectivité des réseaux cérébraux fonctionnels sont aberrantes
Des études d’imagerie fonctionnelle semblent indiquer qu’il existe deux sous-types neurophysiologiques distincts de TDM2. Le premier est caractérisé par des « déviations sévères » et une « sur-connectivité » entre le réseau du mode par défaut et le réseau de la saillance2. Les patients atteints de ce sous-type de TDM sont sujets aux ruminations, mais répondent bien aux antidépresseurs (AD) standards2. Chez les personnes atteintes du second sous-type de TDM, caractérisé par des « déviations modérées », on observe une faible connectivité entre le réseau du mode par défaut et les régions limbiques et sous-corticales2. Ces patients sont plus susceptibles de présenter une anhédonie, et 63 % d’entre eux ne répondent pas de manière satisfaisante aux AD de première intention2. Par ailleurs, ajoute le Dr Maletic, le stress chronique, une inflammation ou le sevrage d’une substance peuvent altérer la signalisation dopaminergique et, de ce fait, entraîner une anhédonie.
L’anhédonie est associée à une altération des voies neuronales et de la neurotransmission dans le circuit de la récompense
La sérotonine et les catécholamines pourraient avoir des rôles complémentaires dans la régulation des réseaux cérébraux, et un déséquilibre de ces neurotransmetteurs peut occasionner des symptômes de dépression et d’anhédonie. Par exemple, une altération de la signalisation dopaminergique peut entraîner une baisse de la motivation et de la perception de la récompense chez les patients atteints de dépression et d’anhédonie10,11. Une baisse de la signalisation dopaminergique peut inhiber l’activité du réseau de la saillance et du réseau sensorimoteur, et favoriser l’activation du réseau du mode par défaut, conduisant ainsi à une diminution de la saillance des stimuli, à une inhibition psychomotrice et à la multiplication de pensées internalisées12. Par ailleurs, on a montré qu’une anomalie du métabolisme glutamatergique est associée à l’anhédonie : parmi des patients atteints d’un TDM, la concentration de glutamate dans le cortex cingulaire antérieur était significativement plus basse chez les sujets affligés d’une anhédonie prononcée que chez ceux présentant une légère anhédonie ou chez des témoins sains13.
Des données probantes indiquent l’existence d’un lien entre glutamate et anhédonie
Approches thérapeutiques de l’anhédonie
Plusieurs traitements médicamenteux et non médicamenteux se sont avérés efficaces pour atténuer l’anhédonie. Cela dit, prévient le Dr Maletic, les ISRS ont un effet « indirect », ce dernier passant essentiellement par la suppression des émotions négatives (p. ex. émoussement affectif), ce qui permet de « réveiller un peu » le circuit de la récompense. Les agents qui bloquent les récepteurs sérotoninergiques 5HT2c et 5HT3 renforcent la transmission de la dopamine et du glutamate dans le réseau de la saillance, ce qui pourrait atténuer l’anhédonie14,15. Les antagonistes du récepteur N-méthyl D-aspartate (NMDA) atténuent la « signalisation en rafales » depuis l’habénula latérale, ce qui amplifie la signalisation glutamatergique et dopaminergique et peut conduire à une atténuation rapide de l’anhédonie chez les patients atteints d’une DRT16,17. Des travaux sur le traitement par un antagoniste des récepteurs dopaminergiques D2/D3 ont montré la réapparition d’une humeur dépressive sévère chez les patients atteints de dépression, mais une légère élévation subjective du sentiment de bien-être chez les témoins sains18; du reste, les agonistes partiels des récepteurs dopaminergiques D2/D3 peuvent atténuer l’anhédonie19. Des études de stimulation magnétique transcrânienne ont généré de solides résultats quant au soulagement de l’anhédonie et d’autres symptômes de dépression20. Les psychédéliques pourraient amplifier la signalisation glutamatergique et déclencher la libération de dopamine dans le tronc cérébral; des études récentes ont montré que l’administration d’une dose unique de psychédélique améliorait à la fois les affects positifs et négatifs dans la DRT21. Finalement, la psychothérapie est efficace contre le stress et l’anhédonie, et la thérapie d’activation comportementale constitue un nouvel outil prometteur qui pourrait permettre de réduire de manière significative l’anhédonie et le stress ressenti22.
Plusieurs modalités thérapeutiques sont d’une efficacité démontrée pour réduire l’anhédonie
En résumé, le Dr Maletic a formulé des considérations cliniques importantes pour le traitement de l’anhédonie. Il recommande au clinicien de comparer l’atténuation des émotions positives et négatives chez son patient et de garder à l’esprit que l’anhédonie peut entraîner un risque accru de déficience fonctionnelle, de suicide et de résistance au traitement. Par conséquent, lorsque l’anhédonie est prédominante dans le tableau clinique, il faut envisager d’inclure dans le plan de traitement une thérapie cognitivo-comportementale, un traitement d’appoint ou une thérapie ciblant spécifiquement l’anhédonie.
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.