Au nombre des agents approuvés pour le traitement des troubles bipolaires figurent les « thymorégulateurs » et les « antipsychotiques », appellations obsolètes qui ne reflètent pas précisément l’éventail des utilisations cliniques et des modes d’action, et peuvent être source de confusion, de stigmatisation, de non-prescription et de non-observance. Les répercussions de l’emploi de la nomenclature actuelle des « antipsychotiques » et l’évolution de la psychiatrie au chapitre de la classification psychopharmacologique ont fait l’objet d’une séance plénière animée par la Dre Manpreet Singh, professeure, Département de psychiatrie et des sciences du comportement, University of California Davis School of Medicine, dans le cadre d’un webinaire intitulé Improving the Lives of Patients with Bipolar Disorder, offert par le Neuroscience Education Institute (NEI) le 16 mars 2024.
Nomenclature en psychiatrie vs autres branches de la médecine
Dans la plupart des secteurs thérapeutiques, les médicaments sont nommés en fonction de leur principal mode d’action (MA) ou de leurs propriétés pharmacologiques1. Par exemple, les classes de médicaments couramment utilisées dans le traitement de l’hypertension artérielle sont notamment les bêta-bloquants, les antagonistes du calcium et les diurétiques. Cette nomenclature permet au clinicien d’utiliser une polymédication rationnelle en combinant des médicaments, et peut aider à éduquer le patient sur la biologie de sa maladie. Uniforme et précise quelle que soit la maladie traitée, une nomenclature fondée sur le MA est aussi moins susceptible de nourrir des préjugés car elle n’évoque pas de maladie en particulier. En psychopharmacologie, la nomenclature actuelle tend plutôt à refléter l’indication initiale ou principale des médicaments (p. ex. antipsychotique pour la psychose, antidépresseur pour la dépression) et utilise en outre d’obscurs comparateurs (p. ex. typique vs atypique)2.
Dans les autres branches de la médecine, la nomenclature est rarement fondée sur l’indication
Cela dit, établir une nomenclature des psychotropes, y compris des antipsychotiques, en fonction du MA soulève une difficulté : leur action sur les récepteurs est pléiotrope et dépend de la molécule utilisée; en outre, ces agents ciblent un large éventail de symptômes qui peuvent être communs à de multiples indications (p. ex. une humeur dépressive est l’un des principaux symptômes de la dépression unipolaire ou bipolaire, et un symptôme courant de nombreux troubles psychotiques).
Répercussions d’une terminologie imprécise ou ambiguë
L’un des principaux problèmes découlant de la nomenclature actuelle des antipsychotiques est son impact considérable sur l’approche des soins et, par conséquent, sur les résultats cliniques. Une étude récente regroupant 200 professionnels de la santé (PS) et 200 patients atteints d’un trouble bipolaire (TB) a révélé que l’emploi du terme « antipsychotique » avait une foule de répercussions négatives dans la prise en charge de troubles non psychotiques3, souligne la Dre Singh. Notamment, les PS étaient réticents à parler de ce type de médicaments à leurs patients atteints d’un TB et se sentaient plus à l’aise de leur proposer un antidépresseur, ce qui conduisait à la prescription d’un traitement sous-optimal. Par ailleurs, les patients à qui l’on avait proposé un antipsychotique ont déclaré que le médicament leur inspirait des sentiments négatifs en raison des préjugés associés aux troubles psychotiques, et ils étaient moins susceptibles d’observer le traitement que si on leur avait prescrit un thymorégulateur.
L'emploi d’une terminologie imprécise peut semer la confusion, et inciter les PS à ne pas prescrire un médicament et les patients à ne pas l’accepter
Systèmes proposés pour la classification et la désignation des antipsychotiques
Compte tenu des problèmes reconnus découlant de la terminologie actuelle, des travaux sont en cours pour l’élaboration d’une nouvelle nomenclature qui soit fondée sur la pharmacologie et la neuroscience; qui soit suffisamment simple pour être cliniquement utile, mais tout de même représentative des nuances et de la complexité rencontrées dans la pratique; qui éclaire les décisions cliniques; qui favorise l’acceptation par les patients; et qui permette l’inclusion de nouveaux traitements. Divers systèmes de nomenclature, fondés notamment sur la psychopharmacodynamie, le MA, une classification multiaxiale et même un système de classification des effets cliniques spécifiques (« empreintes digitales ») guidé par des données, ont été proposés1,2,4. Toutefois, aucun de ces protocoles de dénomination ne s’est avéré idéal, et plusieurs d’entre eux sont trop complexes. À ce jour, la nomenclature basée sur la neuroscience (NbN), qui tient compte à la fois de la pharmacologie et du MA, domine la course5. Dans la classification NbN, les médicaments sont répartis en 11 différents domaines pharmacologiques (dopamine, glutamate, noradrénaline, etc.) et 10 MA (inhibiteur enzymatique, bloqueur de canal ionique, antagoniste de récepteur, etc.). Parmi les systèmes proposés à ce jour, cette classification est la plus largement reconnue et la mieux acceptée, mais les cliniciens, les patients et la société tardent à l’adopter.
La NbN est le système de classification des psychotropes le plus largement reconnu et le mieux accepté
Le point sur l’observance du traitement pour un TB
Finalement, conclut la Dre Singh, la nomenclature des antipsychotiques pourrait entraver le recours à un antipsychotique injectable à action prolongée (APAP), stratégie de traitement très utile dans le traitement des TB. On estime que l’observance du traitement par un antipsychotique oral chez les patients atteints d’un TB est de seulement 30 à 60 %, ce qui augmente le risque de rechute, d’hospitalisation et de suicide6. Les APAP sont associés à une meilleure observance et ont un profil d’efficacité et d’innocuité démontré dans le traitement initial et le traitement d’entretien des TB. Pourtant, des données probantes semblent indiquer que les APAP sont sous-utilisés7, souvent parce que les PS s’attendent à ce que les patients refusent de prendre un APAP ou encore, à ce que l’éventuel choix d’un APAP nuise à l’alliance thérapeutique8. La Dre Singh réitère l’importance de la terminologie et l’impact négatif bien réel de la nomenclature actuelle des « antipsychotiques », notamment une sous-utilisation de cette classe de médicaments, pourtant utile dans le traitement des TB.
La nomenclature des « antipsychotiques » peut contribuer à une sous-utilisation des APAP dans le traitement des TB
Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.