Pleins feux sur la coexistence des troubles de l’humeur et des troubles de l’usage d’une substance au Canada

Les troubles de l’humeur et les troubles de l’usage d’une substance (TUS) se chevauchent considérablement, et la présence simultanée de ces troubles laisse présager un fardeau de morbidité plus lourd et de moins bons résultats cliniques. Malgré cela, les troubles de l’humeur et les TUS coexistants sont sous-diagnostiqués et sous-traités. L’une des séances de la conférence annuelle de l’Association des psychiatres du Canada (APC) – qui s’est tenue à Vancouver le 20 octobre 2023 – était axée sur les lacunes actuelles dans les modèles de soins et les possibilités futures d’amélioration.

Lacunes actuelles et appel à l’action 

Les troubles de l’humeur et les troubles de l’usage d’une substance (TUS) coexistent souvent. Selon des données épidémiologiques, la prévalence à vie des troubles de l’humeur et des troubles anxieux chez les personnes aux prises avec un TUS s’élève à 40 % et à 30 %, respectivement1, et les taux sont généralement plus élevés chez les femmes que chez les hommes2. D’autre part, le risque à vie d’avoir un TUS touche environ 20 % des personnes aux prises avec un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux1.

30 à 40 % des personnes aux prises avec un TUS souffrent d’un trouble de l’humeur ou d’un trouble anxieux au cours de leur vie 

Le Dr Sidney Kennedy, University of Toronto, a décrit des résultats similaires au sein d’un échantillon d’adultes Canadiens hospitalisés participant, en conditions réelles, à un programme sur le TUS, où 46 % des patients avaient reçu d’un médecin un diagnostic de trouble dépressif ou anxieux concomitant. Parmi les adultes atteints d’un TUS, la prévalence des troubles de l’humeur et des troubles anxieux varie non seulement en fonction du sexe, mais aussi de l’âge. Dans la cohorte du Dr Kennedy, les adultes plus jeunes étaient plus susceptibles d’avoir de multiples troubles de l’humeur ou troubles anxieux coexistants, comparativement aux patients plus âgés. Si les troubles anxieux coexistants étaient plus fréquents chez les patients moins âgés, la dépression coexistante, elle, était plus fréquente chez les adultes plus âgés atteints d’un TUS. 

Il y a des différences liées au sexe et à l’âge dans les troubles de l’humeur et les troubles de l’usage d’une substance

Malgré leur coexistence fréquente, les troubles coexistants ont tendance à être sous-diagnostiqués et sous-traités, ce qui reflète probablement l’approche en silo du dépistage et du traitement des troubles seuls. De plus, il existe une grande variété de philosophies de traitement et de modèles de soins pour les troubles de l’humeur et les TUS coexistants, mais nous avons peu de données probantes sur les approches thérapeutiques efficaces. Les recherches insuffisantes ont contribué à l’absence de guides de pratique et de normes de soins. Le Dr Kennedy insiste sur l’urgence de combler nos lacunes en termes de connaissances et de soins, car les personnes aux prises avec des troubles coexistants doivent généralement composer avec des symptômes plus sévères, un fardeau de morbidité plus lourd, et un taux de récidive plus élevé, comparativement aux patients ayant un seul trouble.

Traiter à l’aide d’instruments d’évaluation pour une prise en charge personnalisée 

En recueillant des données en conditions réelles chez des personnes soignées pour un TUS et un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux coexistants, nous pourrions améliorer les programmes de traitement et offrir une approche davantage personnalisée pour la prise en charge de la maladie. James McKillop, PhD, McMaster University, Hamilton, Ontario, a décrit comment son équipe avait eu recours à une méthode statistique appelée « analyse de profils latents » pour repérer différentes catégories cliniques de TUS et de troubles psychiatriques coexistants dans un contexte de traitement des dépendances. Cette approche associe au point d’intervention des évaluations de routine et la collecte de données à l’aide d’instruments de grande qualité et d’utilisation rapide afin d’automatiser l’évaluation des personnes qui se présentent pour un traitement de leur dépendance. Les données groupées peuvent alors servir à cerner les points communs dans les tableaux cliniques et ainsi à créer des « catégories » (p. ex. trouble d’utilisation d’une substance ou d’alcool sévère ou léger, et psychopathologie coexistante sévère ou légère) et à guider un plan de traitement personnalisé.

L’analyse des profils latents permet principalement de mettre de l’ordre dans le chaos. Les patients qui se présentent pour un traitement de leur TUS ont des caractéristiques cliniques très variables, dont certaines peuvent être difficiles à cerner. L’analyse des profils latents intègre des données de multiples sources, notamment le contenu des formulaires d’accueil clinique ainsi que les résultats d’examens de laboratoire et d’imagerie. Par exemple, dans la catégorie « trouble de l’usage d’une substance ou d’alcool sévère et psychopathologie sévère », les patients avaient tendance à présenter des niveaux plus élevés d’envies impérieuses et d’impulsivité, ce qui peut nécessiter une approche à multiples facettes ciblant ces mécanismes sous-jacents de façon à optimiser l’issue clinique. À ce jour, les chercheurs ont appliqué cette approche dans deux contextes cliniques pour mieux personnaliser les programmes et guider les efforts d’amélioration de la qualité et l’attribution des ressources de manière à mieux répondre aux besoins de la zone desservie.  

L'analyse des profils latents peut aider à mettre de l’ordre dans l’hétérogénéité clinique 

Nouveaux modèles de soins et approches futures dans le traitement de troubles coexistants 

Au début de 2022, le centre Homewood Health à Guelph, en Ontario, a revisité son parcours de soins de façon à répondre au besoin reconnu d’une meilleure approche dans le traitement d’un TUS et d’un trouble de l’humeur ou d’un trouble anxieux coexistants, lesquels étaient très fréquents dans leurs programmes visant à traiter les troubles de l’humeur et les troubles anxieux (Mood and Anxiety Program ou MAP) ainsi que les TUS chez des patients hospitalisés. Le centre a ainsi lancé le programme MACP (Mood, Anxiety and Concurrent Program) qui accordait au traitement des troubles coexistants autant d’importance qu’à celui de chacun des troubles. Shannon Remers, cheffe principale de la recherche et des résultats au centre Homewood Health, a décrit les résultats à 6 mois de la mise en œuvre du programme MACP. Globalement, les chercheurs ont remarqué une diminution de la sévérité des symptômes dépressifs et anxieux, de nombreux patients ayant vu leur score initialement modéré ou sévère tomber sous le seuil diagnostique  au terme des 9 semaines du programme en milieu hospitalier. La satisfaction des patients était plus grande au sein du programme MACP (avec troubles coexistants) qu’au sein des programmes MAC (sans troubles coexistants) et TUS. Vu le succès du programme MACP, le centre Homewood Health a décidé de l’élargir et applique les leçons apprises à d’autres services dans le continuum de soins qu’il offre.

Les programmes sur les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et les TUS coexistants sont associés à une grande satisfaction des patients et à de meilleurs résultats cliniques

Le Dr Christian Shütz, University of British Columbia, a mis en contexte les nouvelles tendances et les possibilités de recherche future pour améliorer la prise en charge de troubles de l’humeur et de TUS coexistants. De plus en plus, souligne-t-il, on reconnaît la complexité des facteurs étiologiques communs des troubles coexistants, notamment un chevauchement considérable entre les facteurs de risque génétique, environnementaux et biologiques. Il est essentiel que les cliniciens sachent que la coexistence de ces troubles est la règle et non l’exception afin de mettre un terme au sous-diagnostic et au sous-traitement actuels. Une approche transdiagnostique et un traitement guidé par des instruments de mesure joueront un rôle de plus en plus important dans l’amélioration de la qualité et la recherche et, en définitive, ils contribueront à l’élaboration d’un parcours de soins personnalisé qui répond mieux aux besoins de chaque patient aux prises avec un trouble coexistant. 

La caractérisation exhaustive des patients est essentielle à la mise en œuvre de parcours de soins personnalisés 

Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

  1. Conway et al. J Clin Psychiatry 2006;67 :247-57.
  2. Chen et al. Drug Alcohol Dépend 2011;118(2-3) :92-9.