Premier épisode psychotique : l’insight et l’implication du patient revisitées

« Ils n’ont pas d’insight et refusent de prendre leurs médicaments » : tel était l’intitulé d’une séance clinique fascinante du congrès virtuel de l’APA de 2022 sur le premier épisode psychotique qui avait pour but de faire réfléchir les participants. La discussion a permis de réfuter les théories médicales sur l’insight et l’implication du patient. Tous les panélistes travaillaient en santé mentale et soit ils avaient vécu un premier épisode psychotique personnellement, soit ils en avaient été témoins chez un proche.  

Point de vue du médecin sur l’insight

La Pre Lisa Dixon (Columbia University Irving Medical Center, États-Unis) a montré en quoi la définition médicale de l’insight avait évolué au fil du temps. Les différences entre les définitions peuvent paraître subtiles, mais le recul met en lumière une réelle transformation du point de vue.

L'insight décrit en fait la différence entre les points de vue du clinicien et du patient

Dans les années 1960, Jaspers définissait l’insight comme une évaluation objectivement correcte de la sévérité de la maladie et un jugement objectivement correct de son type particulier1, l’hypothèse sous-jacente voulant qu’il y ait une vérité absolue. Dix années plus tard, Carpenter a décrit un « piètre insight »  comme étant une manifestation de la maladie plutôt qu’une stratégie d’adaptation à la maladie, reconnaissant ainsi le manque d’insight comme un symptôme de la schizophrénie1. En 1990, David a proposé la conscience du trouble, l’attribution du trouble à une cause et la démarche résultante comme trois dimensions distinctes du concept d’insight2. Vers la fin des années 1990, McGorry a pour sa part proposé que le terme soit utilisé comme « un jugement de la différence entre les points de vue du clinicien et du patient, dans un cadre de travail découlant du point de vue de l’évaluateur3 ».

Difficultés entourant l’insight

McGorry a aussi mis en doute les théories qui sous-tendent les nombreux instruments de mesure de l’insight et souligne cinq aspects clés à prendre en compte3 :

  • l’insight est complexe et multidimensionnel;
  • les facteurs culturels doivent être envisagés;
  • les dimensions de ses composantes sont continues;
  • l’insight peut être propre à la modalité;
  • on doit tenir compte de l’exposition antérieure à de l’information sur la nature de la maladie.

L’insight n’est pas un concept statique et peut fluctuer au fil du temps ainsi qu’au cours d’un même épisode

Il est plus fréquent que le patient soit conscient de ses épisodes antérieurs que de sa maladie actuelle.

L’insight est-il toujours utile?

Les théories sur la cause d’une « altération de l’insight » reposent sur des modèles neuropsychologiques et psychologiques, ces derniers incluant le déni comme un mécanisme de défense. Les cliniciens voient généralement l’insight d’un bon œil pour le patient, car il peut améliorer l’observance du traitement et réduire la probabilité que des idées délirantes poussent le patient à agir3. L’insight peut toutefois avoir des conséquences négatives3 : il peut aggraver les choses et entraîner une dépression, et le patient peut « jouer le rôle » d’une personne malade.

Le vécu d’une maladie mentale

À la lumière de son vécu, Micah Pearson (directeur général de la National Alliance on Mental Illness of Southern New Mexico, États-Unis) a expliqué quelques-unes des nombreuses raisons pour lesquelles le patient pourrait refuser de prendre ses médicaments même s’il est conscient de sa maladie. Ses préoccupations quant aux effets indésirables différaient de son analyse des risques et des avantages à titre de clinicien, mais son questionnement a été qualifié de « combatif ».

Même s’il est conscient de sa maladie, le patient pourrait refuser de prendre ses médicaments pour de nombreuses raisons

Un diagnostic tel que la schizophrénie peut être très stigmatisant, estime Nev Jones, Ph.D. (University of Pittsburgh, États-Unis), et les cliniciens sous-estiment souvent les pressions qu'exerce la société pour qu'une telle étiquette soit rejetée. Elle a décrit la tendance à surgénéraliser (« tous les patients psychotiques manquent d’insight ») et la tendance à incriminer le manque d’insight dans toute décision considérée comme « mauvaise » par le clinicien et ainsi à justifier de passer outre à la décision du patient.

Le modèle médical de l’insight renforce la hiérarchie entre les connaissances du clinicien « expert » et celles du patient, ce qui vient éroder la valeur du vécu du patient. Souvent, le clinicien omet d’explorer les relations entre, d’une part, le contenu des hallucinations et des idées délirantes et, d’autre part, les événements de la vie du patient et le contexte socioculturel dans lequel il évolue. L’une des conséquences peut aussi être de balayer du revers de la main les effets indésirables de l’antipsychotique déclarés par le patient, à plus forte raison quand la cause biologique n’est pas si claire.

Regard sur l’implication du patient

Il faut nous éloigner des préjugés concernant l’insight et plutôt poser des questions, écouter plus attentivement et tout faire pour impliquer l’être humain et la personne qui se cachent derrière le patient

Les panélistes ont prié les participants d’éviter des énoncés tels que « Ils manquent d’insight et refusent de prendre leurs médicaments », les invitant plutôt à poser des questions, à écouter plus attentivement et à tout faire pour impliquer l’être humain et la personne qui se cachent derrière le patient. Tous se sont entendus pour dire que la prise en charge d’un premier épisode psychotique est complexe et soulève de nombreuses incertitudes, et qu’elle s’apparente davantage à un marathon qu’à un sprint. Ronda Speight (Mental Health Association of Westchester, New York, États-Unis) et la Dre Angela Coombs (Alameda County Behavioral Health Care Services, États-Unis) ont conclu que la démarche consistant à laisser le patient prendre sa vie en main malgré les combats et les difficultés qui en découlent peut-être transformatrice.

Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

  1. Reddy MS. Insight and psychosis. Indian J Psychol Med 2015;37(3):257-60.
  2. David AS. Insight and psychosis. Br J Psychiatry 1990;156:798-808.
  3. McGorry PD, McConville SB. Insight in psychosis: an elusive target. Compr Psychiatry 1999;40(2):131-42.