Que peuvent révéler les biomarqueurs au sujet de la dépression et de la réponse au traitement antidépresseur?

Dans un symposium intitulé « Biomarqueurs de la dépression : de l’animal à l’humain », le Dr Gustavo Turecki (Université McGill, Canada) s’est servi de ses recherches fondamentales pour montrer comment des exosomes neuronaux collectés dans le sang périphérique pourraient servir à l’étude des changements moléculaires associés à la réponse au traitement antidépresseur. Le Dr Argel Aguilar-Valles (Université Carleton, Canada) a expliqué en quoi la régulation de l’initiation de la traduction des ARNm était associée à la neuro-inflammation et, à l’aide d’études réalisées dans son laboratoire, il a montré quelles pourraient être les répercussions de cette régulation sur la dépression et son traitement. Enfin, le Dr Stefano Comai (Université de Padoue, Italie) a présenté les travaux de son groupe sur le lien entre la voie tryptophane/sérotonine ou tryptophane/kynurénines et le système endocannabinoïde chez la personne atteinte de dépression.

Les exosomes neuronaux peuvent témoigner de la réponse au traitement antidépresseur

L’exosome étant un type de vésicule extracellulaire (VE) transportant du matériel moléculaire, il peut être isolé dans le sang, et il est alors possible d’analyser son contenu et la signature moléculaire de sa cellule d’origine1, explique le Dr Turecki. Les VE peuvent franchir la barrière hémato-encéphalique (BHE)2 et les petites VE neuronales (VEN) peuvent être isolées dans le sang périphérique, ce qui permet d’examiner le cerveau sans effraction3.

Les VEN provenant d’un cerveau autopsié et les VEN provenant du plasma concordent à hauteur d’environ 90 % quant au matériel qu’elles transportent, ce qui montre qu’elles sont comparables. Le matériel génétique présent dans les VEN est principalement celui de facteurs neuronaux et de facteurs cérébraux3

Les vésicules extracellulaires neuronales présentes dans le sang périphérique pourraient servir à l’étude de la réponse au traitement antidépresseur

Une étude réalisée dans le laboratoire du Dr Turecki a montré que même si aucune différence n’avait été mise en évidence entre les patients déprimés et les témoins sains quant au nombre total de VE, la taille de toutes les VE et des VEN était significativement plus petite chez les patients déprimés. Le traitement antidépresseur (AD) a été associé, chez les répondeurs à 8 semaines, à une augmentation significative de la taille des VEN et à une augmentation significative du nombre de VE libérées3.

Dans le matériel transporté par les VEN, trois des microARN (miARN) importants étaient annonciateurs de la réponse au traitement AD. Ces résultats ont été reproduits pour deux des trois miARN dans un échantillon de patients traités par un AD ayant fait l’objet d’une étude indépendante. Ces résultats présentés par le Dr Turecki pourraient signifier que nous pourrons nous pencher sur des miARN cibles prometteurs dans le cadre d’études futures3.

La régulation de la traduction de l’ARNm participant à la neuro-inflammation a des implications dans la dépression

Chez les personnes atteintes d’un trouble dépressif majeur (TDM), on observe une altération des voies de signalisation qui régissent l’initiation de la traduction des ARNm, notamment une diminution du signal de mTOR (mammalian target of rapamycin) dans le cortex préfrontal (CPF) et une diminution du signal de l’ERK (extracellular signal-regulated kinase) dans l’hippocampe. Dans les études chez l’animal, les AD peuvent amplifier le signal de ces voies4.

La régulation de la traduction des ARNm dans les neurones contribue étroitement à la plasticité synaptique et à la morphogenèse du rachis5. Dans sa présentation, le Dr Aguilar-Valles s’est concentré sur le complexe elF4F (eukaryotic initiation factor 4F), lequel est régulé en partie par mTORC1 au niveau de sa protéine de liaison6. À l’aide d’un modèle murin dans lequel on a généré la mutation d’un seul nucléotide de la protéine 4E, le Dr Aguilar-Valles et ses collaborateurs ont découvert que cette voie participait à l’activation du NF-kB (nuclear factor kappa-light-chain-enhancer of activated B cells) et à la surexpression subséquente de médiateurs de l’inflammation dans le cerveau comme le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFa)7.

L’inflammation faisant suite à l’initiation de la traduction d’ARNm aberrants est associée à des symptômes dépressifs

La diminution des taux d’inhibiteurs d’IkBa, inhibiteur de NF-kb, peut conduire à la suractivation de NF-kb, comme l’ont montré des souris porteuses de mutations au niveau de la phosphorylation de l’eIf4e8. Dans les travaux présentés au congrès, le Dr Aguilar-Valles et son équipe ont montré que l’expression cérébrale de l’IkBa est régie par la voie MNK1 (MAP kinase-interacting kinase 1)/2-eIF4E. Chez la souris knock-in eIF4E, les chercheurs ont constaté une augmentation significative des taux de TNFa de même qu’une microgliose dans l’hippocampe et le CPF, facteurs qui dénotent tous la présence d’une inflammation. Ces souris présentaient aussi des comportements dépressifs, comme un délai plus long dans le test du conflit alimentaire (hyponéophagie) et une exploration moindre du centre de l’enceinte.

Le groupe s’est aussi penché sur la neurotransmission dans le CPF et a constaté que la réponse sérotoninergique était sévèrement émoussée chez les souris knock-in eIF4E. À l’aide d’une protéine négative dominante pour bloquer le TNFa, les chercheurs ont observé la régression de ces déficits comportementaux et de l’induction de l’excitation dans le CPF.

Le système endocannabinoïde dans la dépression

Le Dr Comai a posé comme postulat que les endocannabinoïdes participent aux symptômes de la dépression. Les deux principaux endocannabinoïdes, l’anandamide et le 2-arachidonoylglycérol (2-AG), sont synthétisés dans l’espace post-synaptique et fonctionnent ensuite dans l’espace présynaptique comme des « neuromodulateurs rétrogrades »9.

Il a présenté au congrès les travaux réalisés dans son laboratoire qui avaient pour objectif d’explorer, chez la personne atteinte de dépression, le lien entre, d’une part, les taux des biomarqueurs endocannabinoïdes circulants et d’autre part, les voies tryptophane/5-HT et tryptophane/kynurénines10. Bien que la 5-HT ne puisse pas franchir la BHE, il a été démontré que les concentrations de tryptophane dans le sang périphérique reflètent les taux de 5-HT dans le cerveau avec exactitude11.

Les endocannabinoïdes pourraient avoir un rôle à jouer dans les voies de la dégradation du tryptophane

Dans le cadre de son étude, le Dr Comai a constaté une dégradation accrue du tryptophane circulant en kynurénines et une augmentation du taux sérique de 2AG chez des patients déprimés. Le groupe a aussi observé une corrélation négative entre le tryptophane et la sévérité de la dépression de même qu’une association positive entre la dégradation du tryptophane en kynurénines et les endocannabinoïdes. En outre, les chercheurs ont noté que les biomarqueurs de la dégradation du tryptophane en kynurénines permettaient de bien différencier les patients déprimés et les témoins. Ces données « confirment les interférences entre le système endocannabinoïde et le système sérotoninergique et leur contribution à la dépression », conclut le Dr Comai.

Références

1. Saeedi S, et al. Transl Psychiatry. 2019; 9: 122.

2. Zhuang X, et al. Mol Ther. 2011; 19: 1769-1779.

3. Saeedi S, et al. Mol Psychiatry. 2021; 26: 7417-7424.

4. Marsden WN. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry. 2013; 43: 168-184.

5. Medioni C, et al. Development. 2012; 139: 3263-3276.

6. Böhm R, et al. Mol Cell. 2021; 81: 2403-2416.e2405.

7. Aguilar-Valles A, et al. Nat Commun. 2018; 9: 2459.

8. Herdy B, et al. Nat Immunol. 2012; 13: 543-550.

9. Gatta-Cherifi B, Cota D. Int J Obes (Lond). 2016; 40: 210-219.

10. Comai S, et al. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry. 2016; 70: 8-16.

11. Fernstrom JD, Wurtman RJ. Science. 1971; 173: 149-152.