Thérapie assistée par les psychédéliques : nouvel outil pour les troubles psychiatriques réfractaires?

Aujourd’hui largement considérés comme des drogues à usage récréatif, les psychédéliques sont utilisés depuis des siècles à des fins thérapeutiques dans des rituels autochtones, et depuis les années 1950-1960 dans le cadre d’essais de recherche1,2. Depuis peu, les hallucinogènes suscitent un regain d’intérêt en recherche et dans la pratique clinique en raison du potentiel d’utilisation de la thérapie assistée par les psychédéliques (TAP) pour les troubles psychiatriques sévères. Lors du Forum en médecine familiale (FMF) 2023 à Montréal, la Dre Kathy Do, médecin de famille, North York, Ontario, a fait un bref historique de cette modalité thérapeutique émergente, puis présenté des données probantes à l’appui de son utilisation et exposé des considérations pratiques quant à la sélection des patients et au déroulement de la TAP dans un contexte clinique.

Que sont les psychédéliques?

Le terme « psychédélique » dérive de deux mots grecs : « psyche », qui désigne l’âme, la raison et l’esprit, et « delos », qui signifie se manifester ou révéler. La Dre Do décrit les psychédéliques comme des substances chimiques qui peuvent favoriser l’émergence ou l’exacerbation de pensées, émotions et perceptions cachées ou normalement inaccessibles en état de veille. Dès lors qu’ils peuvent modifier la conscience de soi et des autres, et favoriser l’empathie, l’optimisme, la confiance interpersonnelle et l’ouverture à une expérience transcendante, les psychédéliques sont potentiellement utiles dans le cadre d’une thérapie guidée1.

Les psychédéliques peuvent favoriser l’émergence de pensées inaccessibles en état de veille

Au Canada, trois psychédéliques sont actuellement accessibles dans le cadre du Programme d’accès spécial (PAS) et d’essais de recherche clinique. Ils sont principalement utilisés chez des patients atteints de dépression réfractaire au traitement, de dépression et d’anxiété liée au cancer, du trouble lié à l’usage d’alcool (TUA) et du trouble de stress post-traumatique (TSPT)1. La Dre Do souligne qu’en dépit d’un corpus grandissant de données probantes, il est difficile de mener des études cliniques en raison de biais liés au placebo et aux attentes et de l’absence d’une approche normalisée de la thérapie assistée par les psychédéliques (TAP). Néanmoins, elle croit qu’un optimisme prudent est justifié compte tenu du lourd fardeau associé aux cas les plus réfractaires de maladies psychiatriques sévères et des progrès limités quant à leur traitement.

La TAP a été étudiée pour le traitement de nombreuses maladies psychiatriques réfractaires

Les psychédéliques sont-ils sûrs?

Bien que les agents psychédéliques soient sûrs du point de vue physiologique, certains d’entre eux ont été associés à un risque de dépendance, sans toutefois induire des conduites addictives irrépressibles1. Selon la Dre Do, il est fondamental d’éduquer les patients qui s’intéressent à la TAP sur l’importance du cadre thérapeutique, car les effets subjectifs de la TAP dépendent de l’environnement où a lieu la thérapie, des attentes vis-à-vis du traitement, et de l’approche de la thérapie de soutien1,2. Fait important, dans un environnement non médical, un psychédélique pourrait entraîner un « mauvais voyage » (bad trip) ou un comportement risqué1. La Dre Do fait office de consultante médicale dans une clinique multidisciplinaire offrant la TAP, et son rôle est de cribler soigneusement les patients candidats pour s’assurer de l’absence de contre-indications à la TAP ou d’un risque inacceptable d’effets indésirables de nature psychologique (notamment anxiété, peur, paranoïa et, rarement, psychose)1.

Un professionnel de la santé crible soigneusement les patients pour s’assurer de l’absence de contre-indications à la TAP

Comment fonctionne la TAP?

On croit que les psychédéliques agissent en modifiant le traitement cérébral de l’information. Selon la théorie du traitement prédictif, le cerveau anticipe et prédit continuellement l’avenir en fonction des influx sensoriels reçus antérieurement, y compris les perceptions de soi et des autres2. En présence de dépression, ce processus peut être défavorable si les prédictions sont exagérément rigides et inflexibles et qu’elles teintent négativement la réalité perçue (p. ex. rumination). Les psychédéliques renforcent la connectivité du cerveau, ce qui lui permet de traiter la nouvelle information et de corriger les prédictions antérieures2. D’où l’importance d’une thérapie de soutien et d’un cadre clinique afin de guider le processus conduisant à un assouplissement des prédictions et au renforcement de la flexibilité cognitive.

Les psychédéliques catalysent les effets de la thérapie en renforçant la flexibilité cognitive et l’ouverture à de nouveaux processus de pensée

Contrairement aux antidépresseurs (AD), dont la prise est de longue durée et entraîne une baisse de la réactivité aux émotions et aux sentiments, les psychédéliques sont utilisés pendant une période limitée et augmentent la réactivité en agissant sur les causes profondes de la détresse émotionnelle. Selon la Dre Do, l’une des différences clés entre ces modalités thérapeutiques, même si l’une et l’autre sont associées à une réduction des symptômes dépressifs et au mieux-être, est que la TAP favorise une adaptation active alors que les AD procurent aux patients une stratégie d’adaptation passive.

Les AD entraînent une baisse de la réactivité émotionnelle alors que la TAP augmente la réactivité et favorise une adaptation active

Comment se déroule une TAP?

Bien que le déroulement de la TAP puisse varier selon les cliniques, la Dre Do présente un schéma général comportant quatre étapes principales : admission et autorisation, préparation, séances de prise d’un psychédélique et intégration1. Pendant la phase d’admission, avant d’autoriser la TAP, une équipe multidisciplinaire fait une évaluation médicale du patient afin d’exclure toute contre-indication et de vérifier que les autres modalités thérapeutiques ont été optimisées. La phase de préparation permet au patient et au thérapeute d’établir une alliance thérapeutique et de définir les attentes et les objectifs du traitement. Les séances de prise d’un psychédélique ont généralement lieu dans un environnement confortable permettant au patient d’intérioriser ses pensées, en présence d’un thérapeute; une séance peut durer plusieurs heures. Pendant les séances d’intégration, qui ont souvent lieu le lendemain de la prise d’un psychédélique, le thérapeute aide le patient à réfléchir à son expérience et à en tirer de nouvelles perspectives qu’il pourra intégrer dans son quotidien. Bien que ceci ne fasse pas explicitement partie de la TAP, on encourage généralement le patient à continuer une thérapie, qui peut les aider à affronter de nouvelles difficultés. 

La TAP comporte 4 phases : admission, préparation, séances de prise d’un psychédélique et intégration

Avenir de la TAP

La Dre Do conclut en soulignant que la TAP a donné des résultats prometteurs dans le traitement de divers troubles psychiatriques débilitants, mais que les recherches devront se poursuivre. En dernière analyse, elle considère la TAP comme un nouvel outil potentiel pour la prise en charge de patients soigneusement sélectionnés. Elle mentionne avoir observé dans sa pratique des résultats généralement positifs, tout particulièrement chez les patients soutenus au mieux non seulement par leur thérapeute, mais aussi par leur famille et leur entourage, donc mieux armés pour revivre des expériences traumatisantes pouvant s’avérer déstabilisantes pour certaines personnes.

Les faits saillants du symposium rapportés par nos correspondants se veulent une représentation juste du contenu scientifique présenté. Les opinions et les points de vue exprimés sur cette page ne reflètent pas forcément ceux de Lundbeck.

Références

  1. Reiff CM et al. Am J Psychiatry 2020 ;177(5):391-410.
  2. Villiger D. Frontiers Psychiatry 2022;13:812180.